Cet été, des artistes plongent dans leurs souvenirs pour analyser leur première œuvre professionnelle. Aujourd’hui : Fabienne Larouche.

Même si Fabienne Larouche était reconnue dans le milieu de la télé depuis une décennie en tant que scénariste (Lance et compte, Scoop, Miséricorde, Urgence, Virginie), elle parle de la télésérie Fortier comme d’une mise au monde, puisqu’il s’agissait du premier projet qu’elle scénarisait et produisait.

Un défi qu’elle a relevé après des années à entretenir des relations compliquées avec ses producteurs, explique-t-elle. « J’avais besoin de pouvoir contrôler le produit jusqu’à la diffusion. Je me suis lancée dans cette aventure avec une grande idée de ce qu’était le contenu et de comment porter une série à l’écran, mais je connaissais peu le volet financier. Je me suis dit que je serais capable en m’entourant d’avocats et de comptables pour me soutenir. »

Sans oublier les banquiers. En effet, pour financer ce qui allait devenir l’une des séries les plus marquantes de l’histoire du petit écran québécois, la nouvelle productrice a dû obtenir des marges de crédit substantielles. « Je devais engager des équipes de 60-70 personnes, payer les décors, les costumes, les comédiens et toute l’équipe. »

Une responsabilité dont elle dit s’occuper avec rigueur. « Peu importe qu’on tourne une série destinée à Radio-Canada ou à TVA, il y a toujours de l’argent public d’investi. Je suis très préoccupée par ça. Ce sont les impôts des infirmières et des garagistes qu’on dépense. »

Même si elle affirme avoir investi son salaire de scénariste dans la production de la première saison, elle ne regrette aucunement d’avoir fait le grand saut. 

Plusieurs producteurs ont voulu me décourager. Ils me disaient : “Tu vas voir, quand tu vas avoir perdu ton condo et fait faillite !” C’était troublant ! Le milieu de la production était un milieu fermé à l’époque. Ce n’était pas facile, mais on l’a fait !

Fabienne Larouche

« J’étais soutenue, poursuit-elle, par toute l’équipe, par mon mari Michel et par Sophie Lorain. »

Si la scénariste avait l’habitude de voir ses textes transformés en téléséries en bénéficiant de plus de 1 million de dollars par épisode, comme ce fut le cas pour Scoop, Urgence et Miséricorde, le budget a été revu à la baisse pour Fortier. « À TVA, on m’a dit que j’étais capable de faire ça avec 850 000 $. Je n’ai pas négocié… mais j’étais convaincue qu’on réussirait ! »

Quand on demande à la productrice où se situait son niveau de confiance, elle préfère parler de courage. « À cette époque, j’avais 40 ans et je jouais ma carrière ! Tout le monde me regardait aller. Je croyais à mes histoires, mais une part de ma confiance venait de celle que je voyais dans les yeux des autres. Ils me disaient : “Fabienne, on va le faire !” Il y avait un grand engagement auprès de moi. »

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Fabienne Larouche, Gilbert Sicotte et Sophie Lorain sur la plateau de Fortier 2, en octobre 2000

Le tournage de Fortier a débuté à l’été 1999. Vingt ans plus tard, la créatrice est persuadée que la télésérie a bien vieilli. « Moi, je ne réécoute pas ce que j’ai fait dans le passé, mais je crois qu’on a bien travaillé. Ceux qui découvrent Fortier aujourd’hui m’en parlent avec ravissement. Durant toute l’aventure, j’ai eu beaucoup de doutes, mais j’ai été passionnée, résistante et résiliente. Mon degré de fierté est assez élevé. »

La volonté de se dépasser

Après avoir produit 42 heures de Fortier en 5 ans, Fabienne Larouche a mis fin au projet, alors qu’elle croyait avoir ce qu’il faut pour continuer. « Ça marchait super bien. On aurait pu tourner une sixième et une septième année. Mais Sophie voulait faire autre chose. Avec le recul, je réalise que cinq ans est un bon format pour une télésérie du genre. Tu ne veux surtout pas faire l’année de trop ! »

En plus de produire de nombreux projets issus de sa propre imagination (Music Hall, Un homme mort, Trauma, 30 vies), elle a eu envie de mener les projets de plusieurs confrères et consœurs scénaristes (Les Bougon, Unité 9, Blue Moon, District 31, Ruptures, Cheval-Serpent, Clash, etc.). Dans tous les cas, l’expression anglophone show runner lui convient particulièrement bien, puisqu’elle s’investit totalement dans chaque projet. 

Je m’implique dans les textes, le choix des réalisateurs et de toute l’équipe. Je donne mon opinion sur le montage, la musique, les affiches promo. Je ne peux pas produire 22 auteurs, car il y a seulement 24 heures dans une journée !

Fabienne Larouche

Malgré les deux décennies qui ont passé depuis ses débuts, elle croit que sa façon de produire n’a pas changé. « Je suis toujours motivée par la volonté de me dépasser ! C’est fatigant de travailler avec moi, mais les gens restent. Notre compétition, c’est les Américains. Ce n’est pas un travail facile. Il faut être passionné. Il y a moins d’argent qu’avant, mais il y a quand même des façons d’y trouver son compte. »

Elle admet cependant avoir une perspective différente sur le milieu. « La télévision, c’est brutal, rapide et rude. Il ne faut pas affronter ça, mais l’accepter. Avant, je l’affrontais. J’essayais de pousser le mur. Un jour, je me suis reculée, j’ai vu les outils dans mes mains et j’ai créé une porte. »