La nouvelle série jeunesse Silex de Radio-Canada a-t-elle été inspirée par la populaire bédé Silex and the City? Le diffuseur jure que non, mais la maison d'édition Dargaud, l'auteur et la maison de production derrière la série animée du même nom se disent «interpellés» par l'utilisation du nom et du concept de leur oeuvre et exigent des explications.

En décembre dernier, La Presse a annoncé la sortie d'une nouvelle quotidienne destinée aux enfants de 9 à 12 ans, qui sera diffusée sur ICI Radio-Canada Télé l'automne prochain.

Lorsque l'auteur de la bédé Silex and the City, Jul, a pris connaissance du titre et de l'argument principal de la série produite par Pixcom, il a eu une réaction d'incrédulité: «le monde contemporain vu par le prisme de la préhistoire» est exactement la prémisse de la série qu'il a imaginée il y a une dizaine d'années.

«C'est un manque de professionnalisme flagrant, a-t-il confié à La Presse au cours d'un entretien téléphonique. Il suffit de taper "Silex" dans Google pour tomber sur la série. Il me semble que c'est un truc élémentaire de se renseigner. D'autant que le dispositif narratif est similaire. Quand bien même ce serait une coïncidence, ça dénote un vrai dysfonctionnement de leur part.»

Parodie de société

La bédé publiée chez Dargaud depuis 2009 (vendue à plus de 500 000 exemplaires) est une saga familiale - celle de la famille Dotcom - qui se passe à l'ère préhistorique. Le tome 8 de la série, «L'homme de cro-Macron», sortira l'automne prochain.

«C'était une façon de parler de notre époque en la décalant dans le temps, nous dit Jul, auteur de La planète des sages, La croisade s'amuse ou encore Il faut tuer José Bové. J'avais d'abord pensé camper l'histoire au Moyen Âge, puis je me suis dit que l'ère préhistorique avait un riche potentiel. Il y a eu bien sûr Les Pierrafeu, mais c'était mignon et naïf. Je voulais faire quelque chose de plus grinçant, dans l'esprit de South Park ou The Simpsons

La série télé Silex, qui met en vedette Florence Longpré, Geneviève Schmidt et Jonathan Caron et dont le tournage doit débuter demain, se passe elle aussi à l'ère préhistorique. Elle met en scène deux clans (les Pierre et les Roc), qui doivent cohabiter sur une même montagne.

En entrevue à La Presse en décembre dernier, Radio-Canada décrivait Silex comme une parodie de notre société. «L'idée est vraiment de rire et de présenter des situations d'adolescents qui se demandent s'ils sont normaux ou pas», expliquait alors Christiane Asselin, première directrice, jeunesse, à Radio-Canada.

Dans la série comme dans la bédé, les personnages utilisent des tablettes en pierre.

«Aucun lien» avec la bédé

On n'en sait pas plus sur le contenu de la série produite par Pixcom et écrite par David Leblanc, Marie-Louise Chouinard et Anne-Hélène Prévost, mais aucune demande d'acquisition de droits n'a été faite à l'éditeur français.

Image fournie par la maison d'édition

La série de bandes dessinées Silex and the City

Pourtant, le diffuseur public a avoué que l'équipe connaissait l'oeuvre de Jul: «Le producteur a fait faire un contrôle de titre au moment de la production, après plusieurs mois de développement, et c'est seulement à ce moment qu'on a su que la bédé existait», a écrit par courriel, en décembre dernier, Julie Racine aux communications de Radio-Canada.

«Nous n'avons pas les droits puisque l'émission n'a vraiment aucun lien avec la bédé.»

«La bédé s'adresse aux adultes, avec des référents pour les 16 ans et + (dont des référents sexuels). Ce n'est pas du tout le même projet. La série Silex a été conçue ici, à la base pour des 6 à 8 ans. Les problématiques sont vraiment celles d'enfants. Les dialogues sont à la "québécoise", avec des expressions de chez nous, alors que la bédé est plutôt franchouillarde dans le ton», a ajouté Julie Racine, en décembre dernier, au cours d'une communication par courriels.

Joints à nouveau hier par La Presse, Radio-Canada et Pixcom n'ont pas voulu commenter la situation.

«Toute cette histoire nous interpelle»

Jul, qui vient de lancer la nouvelle série bédé 50 nuances de Grecs, s'explique mal qu'un producteur ou qu'un diffuseur aille de l'avant avec un projet qui porte le même nom qu'une oeuvre existante. «J'ai fait un album qui s'appelait le Guide du Moutard, rappelle-t-il, et j'ai su qu'il y avait une association culturelle dans la région de Lyon qui portait le même nom. Eh bien, on a dû lui payer des droits. Et pourtant, le contenu de la bédé n'avait rien à voir avec cette association.»

Barbara Letellier est la productrice de la maison Haut et court, qui a acquis les droits d'adaptation audiovisuelle de la bédé pour une série d'animation diffusée sur la chaîne Arte depuis cinq ans (200 épisodes de Silex and the City à ce jour).

«Nous sommes très gênés par l'utilisation du nom et du concept de Silex par Radio-Canada, nous a-t-elle dit. La maison d'édition Dargaud, qui veille à la protection de l'oeuvre de Jul, va prendre contact avec Radio-Canada cette semaine pour en savoir plus et pour déterminer si, oui ou non, il y a contrefaçon. Donc, oui, toute cette histoire nous interpelle. Il va falloir qu'on examine les scénarios de la série. Si nécessaire, on prendra des actions.»

Illustration tirée du livre Silex and the City – Poulpe Fiction

Extrait de la série de bandes dessinées Silex and the City