Tout le monde est passé au maquillage, les techniciens sont prêts, on peut commencer. En fait, non. Les avocats viennent d'appeler pour qu'on retire un passage du sketch qu'on s'apprête à tourner pour les Olivier. Arrêtez tout, prenez une pause, il faut réécrire le texte.

François Morency s'est mis à rire quand cet épisode lui est réellement arrivé récemment. Parce que son sketch se moque justement du fait que les humoristes ne peuvent plus rire de grand-chose. «Ça prouve que mon sketch est pertinent», s'est-il dit avec dépit.

Après avoir sauté une année, Morency animera son deuxième Gala Les Olivier demain à 19 h 30 sur ICI Radio-Canada Télé. Une soirée sous le signe des sujets tabous et du mot de trop prononcé sur scène ou sur les réseaux sociaux.

«Mon numéro d'ouverture porte sur la quantité industrielle de mes collègues qui se sont mis dans le trouble cette année.»

L'humoriste a beau se tenir loin des réseaux sociaux, il en ressent les effets sur sa liberté de créateur. Il l'a constaté en préparant ce gala, très encadré par les avocats du diffuseur.

«Écrire un gala, c'était déjà compliqué. Maintenant, c'est comme si tu écrivais l'équivalent de deux galas et que tu n'en gardais qu'un. Il y a de bonnes idées qui avortent pour des peccadilles, mais qui auraient été très bonnes», affirme François Morency, qui promet néanmoins de nous décrocher plusieurs éclats de rire demain soir.

Rodage au Bordel

Comme c'est devenu la norme, l'humoriste a testé ses numéros durant les rappels de son spectacle dans 10 villes du Québec, vus par environ 10 000 personnes. «C'est plus que bien des sondages télé ou radio. La réaction est sans appel: ça rit ou ça ne rit pas. Ça permet de faire un premier ménage dans les numéros», dit-il.

Ce qu'il y a de moins courant, c'est que les présentateurs ont aussi rodé leurs numéros devant public, au Bordel Comédie Club à Montréal.

«Ce serait une grave erreur de faire le gala pour 300 personnes dans la salle: tu le fais pour le million qui le regarde à la maison. Avec les réseaux sociaux, les galas sont beaucoup plus scrutés et analysés. Ça a amené plus de rigueur.»

Le gala de demain ratissera large, assure-t-il. «Les Olivier doivent être à l'humour ce que l'ADISQ est à la musique: une vitrine pour tous les styles et toutes les générations. La critique sociale, le sketch, la parodie, l'absurde, tout est là. Ce n'est pas un one man show de François Morency.»

L'animateur annonce, entre autres, qu'il fera un duo avec François Pérusse et un autre avec Gaby Gravel (Florence Longpré), l'irrésistible maquilleuse et coach de vie de Like-moi! «Je ne peux pas en dire plus. Quelqu'un va se faire barbouiller, c'est clair.» Vous verrez aussi des personnalités qui ne sont pas des humoristes faire leur apparition.

En plus de quelques numéros où les présentateurs se plairont à se piquer mutuellement, il y aura certainement beaucoup d'autodérision demain. «Tu ne peux pas passer ta vie à écrire des gags sur l'univers entier sans jamais retourner l'arme contre toi. Ça vient avec la job.»

Controverse et liberté d'expression

Cette semaine, Réal Béland a critiqué sévèrement les Olivier à l'émission Éric et les fantastiques, sur Énergie. En lice comme auteur pour le spectacle de Dominic Paquet, Béland a qualifié le gala de «summum du n'importe quoi», tout en ajoutant qu'il sera présent demain.

Morency n'avait pas entendu l'entrevue au moment de notre entretien, mais il reste conscient qu'aucun gala ne fait l'unanimité, nulle part dans le monde.

«On n'est pas des sportifs. Au saut en hauteur, le gagnant est celui qui saute le plus haut, fin de la discussion. Nous, on est évalués sur des critères de mise en scène, d'originalité et d'efficacité. C'est archi subjectif. Le meilleur humoriste et le meilleur chanteur, ça n'existe pas.»

Il comprend mal que Réal Béland accepte d'y être malgré ses critiques. «En tant qu'artiste, ou bien tu embarques en sachant que ça se peut que tu ne gagnes pas, ou tu n'embarques pas, et je respecte ça. Tu ne peux être entre les deux et dire que les jurys, quand tu gagnes, sont intelligents, mais quand tu ne gagnes pas, que c'est n'importe quoi. Branche-toi: es-tu dedans ou tu n'es pas dedans?»

Parmi ses collègues qui se sont mis dans le trouble cette année, l'animateur ne pourra passer sous silence le fameux procès intenté par la Commission des droits de la personne contre Mike Ward concernant Jérémy Gabriel.

«Le mot-clé dans cette affaire, c'est "acharnement". Dans ce cas-là, il faut réagir. Mais je ne pense pas que ça s'applique dans le cas de Mike. Je pense même que la médiatisation de tout ça a empiré les choses pour Jérémy Gabriel. Qui avait entendu les jokes de Mike sur Jérémy avant le procès? Depuis, tout le monde les connaît.»

Dans le cas de Dieudonné, qui a été refoulé aux douanes canadiennes cette semaine, François Morency ne reconnaît plus celui dont il a vu les premiers numéros dans les galas Juste pour rire. «C'est un gars qui a vraiment du talent. Je ne sais pas ce qui s'est passé dans sa vie. Si tu fais une ou deux jokes de juifs, mais que c'est noyé à travers deux jokes de Grecs et deux jokes d'Africains, c'est correct. Mais quand tu es rendu à ta 750 000e joke de juifs, le jupon dépasse un peu.»

Selon lui, on ne peut plus qualifier Dieudonné d'humoriste. Malgré tout, il n'est pas chaud à l'idée de museler ce type de personnage. «Tu les laisses parler parce qu'ils se calent eux autres mêmes», pense-t-il.