Déçu par la trop courte vie de son dernier long métrage, Un été sans point ni coup sûr, qui n'a pas connu le succès espéré, en 2008, le réalisateur Francis Leclerc a perdu l'envie de faire de la fiction pendant quelques années. Puis la fiction est revenue dans sa vie plus forte que jamais, avec Les rescapés et Apparences, deux séries-vedettes de la SRC dont il signe la réalisation.

D'aussi loin qu'il se souvienne, Francis Leclerc, le fils de Félix mais aussi de Gaétane, la cinéphile de la famille, était un fou de cinéma et un fan fini des films de Gilles Carle. Son fils de 9 ans porte d'ailleurs le nom de Léo Z en hommage au personnage de Léopold Z.

Au collège François-Xavier-Garneau, où il a étudié les sciences humaines, le jeune Leclerc s'occupait avec ferveur du ciné-club et n'hésitait pas à programmer la version longue de Barry Lyndon de Kubrick pour les deux pelés et trois tondus du cégep que ça intéressait.

Il avait déjà réalisé des tonnes de courts métrages avec sa caméra super 8 avant de passer au 16 mm. Il fait partie, comme il le dit lui-même non sans une certaine fierté, de la dernière génération à avoir travaillé avec de la pellicule et fait du montage sur une Steinbeck.

Puis, à 25 ans, après avoir abandonné son bac en communications à l'Université Laval, quitté la mythique île d'Orléans de son enfance et déménagé à Montréal, Francis Leclerc est allé faire un tour au marché du Festival international de Clermont-Ferrand en France. En découvrant ce festival et sa faune, Francis Leclerc a fait un voeu en forme de rêve: avoir un jour un court métrage en compétition internationale à Clermont-Ferrand.

Quinze ans plus tard, son rêve vient de se réaliser. Le court métrage Trotteur, qu'il a coréalisé avec Arnaud Brisebois, le whiz des effets spéciaux, et qui est présenté en salle avec The Artist, a été choisi pour la compétition internationale du prestigieux festival de courts métrages qui se déroulera fin janvier. Mais Francis Leclerc y brillera par son... absence.

«Pas le temps d'y aller, dit-il. Je termine l'enregistrement des chansons des Rescapés 2 et je prépare le tournage de la troisième saison. De toute façon, on est 15 ans plus tard, mes rêves ne sont plus les mêmes, ce qui n'empêche pas que je suis super content que Trotteur se retrouve là-bas.»

Choisir Félix

Nous sommes au deuxième étage des studios Victor dans Saint-Henri, la veille de la première d'Apparences, que Leclerc a réalisée il y a un an. Mais Leclerc est moins préoccupé par sa première que par l'enregistrement d'une série de chansons pour les Rescapés, dont Mon fils, paroles et musique de Félix Leclerc.

«Les gens pensent que Félix a écrit la chanson pour moi, mais, en fait, il l'a écrit pour lui-même. Le fils est un homme de 66 ans. Cette chanson-là, c'était mon choix comme toutes les autres chansons de Brel, Ferré, Barbara que l'on entendra. Quant à la référence à Félix dans le quiz que regarde Alexis Martin dans Apparences, c'est mon choix aussi. Serge Boucher avait écrit la scène avec une référence à Napoléon, mais comme on ne trouvait pas d'extrait, il fallait trouver un autre nom. J'ai proposé Félix.»

Il fut un temps où Francis Leclerc n'aimait pas faire référence à son illustre père, sans doute parce que c'était un trop lourd poids à porter pour un fils qui cherchait à se faire un nom. Mais Francis Leclerc a aujourd'hui 40 ans. Il s'est fait un nom, grâce à une quarantaine de vidéoclips, une quarantaine de pubs, trois longs métrages, dont Une jeune fille à la fenêtre et Mémoires affectives, et trois séries télé. Bref, il a fait son chemin, ailleurs que dans le sillage de son illustre père et de toute évidence, ça l'a rassuré sur lui-même.

Découragement

Pourtant, en 2008, à la sortie d'Un été sans point ni coup sûr, un film grand public mettant en vedette Patrice Robitaille, Leclerc a senti un certain découragement monter en lui.

«On travaille pendant quatre ans à temps plein sur un film, on y met tout son coeur, toute son énergie, on fait des pieds et des mains pour avoir son financement. On tourne le film. Le film sort, vit un mois et demi en salle, puis le DVD arrive et c'est fini. On se dit, tout ça pour ça? Falardeau, dont le temps d'attente entre ses films était trois fois plus long que le mien, a déjà écrit que des fois, rendu au projet pour lequel il se battait depuis des années, ça ne lui tentait plus. Il était ailleurs. C'est exactement ce que j'ai ressenti. L'attente entre les projets, ça me tue.»

Francis Leclerc a eu quelques révélations importantes dans sa vie. La première a eu lieu il y a 15 ans à Clermont-Ferrand et la deuxième, l'an dernier, en lisant les textes de Serge Boucher pour Apparences.

«À Clermont-Ferrand, à 25 ans, en voyant les films de la compétition, j'ai compris que je ne savais pas réaliser et qu'il fallait que je travaille fort pour devenir un vrai réalisateur. Tout dernièrement, en lisant du Serge Boucher, j'ai compris que je ne savais pas écrire. Dans le fond, je suis un bien meilleur lecteur de scénario qu'un scénariste. J'ai aussi compris que j'aime plus le processus que le résultat. Donne-moi 140 jours de tournage par année comme je viens de le faire et je suis un homme comblé.»

Carte blanche

Reconnu comme un réalisateur de films intimistes, plus appréciés par les cinéphiles que par le grand public, Leclerc n'avait pas vraiment le profil d'un réalisateur de télé. Malgré une première incursion en 2005 pour TVA avec la série Nos étés, il demeurait dans l'esprit de la plupart des producteurs un gars de cinéma. Pourtant, il affirme être passé d'un monde à l'autre sans difficulté ni douleur.

«En ce moment, dit-il, je me sens au paradis du créateur. J'ai carte blanche pour faire exactement ce que je veux. Je n'ai pas eu besoin de quêter de l'argent aux institutions. Mes producteurs s'en sont chargés. J'étais libre de faire ce que je voulais en autant que je respecte les limites du budget. Pour moi, réaliser Apparences ou Les rescapés, c'est comme réaliser quatre longs métrages en étant assuré d'avoir 10 fois plus de public.»

Pour Apparences, Leclerc a choisi ses acteurs à l'instinct et sans auditions comme il le fait pour ses films.

«Je lis le rôle, je vois quelqu'un dans ma tête et je l'appelle. Aussi simple que ça. J'ai vu Geneviève Brouillette et Myriam LeBlanc en audition juste pour vérifier si elles pouvaient passer pour des jumelles, mais autrement, je ne fais pas d'auditions et je suis contre l'anti-casting et le contre-emploi. Geneviève Brouillette est dans la vraie vie une actrice connue. Le rôle d'actrice connue qu'elle interprète dans Apparences fait partie de sa réalité quotidienne. À mes yeux, 50% du travail a été fait avant même de commencer à tourner.»

À ses débuts comme réalisateur de clips puis comme cinéaste, Francis Leclerc était déjà un type déterminé, opiniâtre et frondeur qui ne mâchait pas ses mots et ne craignait pas la controverse. Il s'est détendu avec l'âge.

«À 20 ans, dit-il, j'étais full ego et très ambitieux. Je le suis moins maintenant. Je fais plus confiance aux autres, je laisse aller les affaires. Avoir une carrière, bâtir une oeuvre, je m'en fous un peu. Je veux juste que ça ne s'arrête pas et continuer à autant aimer ce que je fais que maintenant.»

Cela prend des années avant de devenir un vrai créateur et encore davantage pour devenir un créateur serein. À 40 ans, Francis Leclerc semble être sur la bonne voie.