Vincent Graton m'attend à la Diva, boulevard René-Lévesque. Le comédien (La vie, la vie, L'auberge du chien noir) a fait beaucoup de bruit l'automne dernier en raison de ses charges virulentes contre les coupes du gouvernement Harper en culture, à l'occasion notamment d'un discours au gala des Gémeaux. Il vient de terminer l'enregistrement de la deuxième saison de La culture pour les nuls, à ARTV. Discussion politique.

Marc Cassivi: Je ne pouvais pas ne pas te parler de politique. Tu as été au coeur de la contestation des coupes en culture.

Vincent Graton: Tout le monde est d'accord que dans les 45 millions, il y avait sans doute du gras à couper. Tout le monde veut que les artistes reçoivent plus d'argent que la bureaucratie. Le problème, ce n'est pas les coupes. C'est la manière. Ce sont les raisons qui justifient les coupes. Ce que l'histoire a aussi mis en relief, en particulier pendant les élections, c'est le manque de leadership du milieu culturel. Pour une raison qui m'échappe, je me suis retrouvé à l'avant-scène.

 

M.C.: Tu en es devenu le porte-parole...

V.G.: Oui, pendant environ deux semaines. J'ai animé le premier grand rassemblement. À la maison, c'est devenu une joke. J'étais sollicité par les partis politiques. Après le rassemblement, les gens du NPD m'ont demandé de les rencontrer pour mettre sur pied leur plateforme culturelle. Je leur ai répondu: «Vous êtes en élections et vous n'avez pas de plateforme culturelle!» Les libéraux et le Bloc m'ont aussi contacté. C'est devenu une vraie farce.

M.C.: On a voulu se servir de toi dans le contexte de la campagne. Peut-être parce que tu dis ouvertement des choses que d'autres artistes ne disent pas, même s'ils n'en pensent pas moins.

V.G.: Peut-être. Ce que j'ai remarqué, c'est que le PQ a été complètement absent. Le parti qui veut faire l'indépendance, parce que nous avons une identité propre et que nous sommes le seul bastion francophone en Amérique du Nord, n'était pas là. La personne qui parle le mieux de culture au Québec, Pierre Curzi, n'était pas dans le débat parce qu'on n'a pas voulu qu'il en fasse partie. Les alliés des artistes étaient des libéraux, Denis Coderre, le PLQ. Le Bloc était là et faisait son travail, mais pas le PQ. Il y avait quelque chose qui ne marchait pas.

M.C.: La mobilisation des artistes a quand même eu un impact. Des observateurs de la scène fédérale disent que les conservateurs n'ont pas eu une majorité en grande partie à cause de ça.

V.G.: Je suis tout à fait d'accord. Quand cette mobilisation s'est organisée organiquement, il y avait quelque chose d'extrêmement naïf de notre côté. Au gala des Gémeaux, il aurait fallu qu'on soit un peu plus organisés. On m'avait dit que je serais le seul à prendre la parole au sujet des coupes. Ce qui nous est rentré dans le corps, je pense, c'est la succession de prises de parole. Cela étant dit, c'était une des premières fois que le milieu culturel prenait la parole pour le milieu culturel. Le milieu culturel prend la parole pour le cancer, les inondations, l'environnement. S'il y a une cause, on est là. Soudainement, le milieu se mobilisait pour lui-même. Mais on l'a fait de manière naïve, sans connaître le jeu politique. Ce qui est clair, c'est que le soir des Gémeaux, les conservateurs nous attendaient. Ils attendaient qu'on fasse des déclarations pour réagir. Le lendemain, j'ai répondu à des gens dans les tribunes téléphoniques, et c'était dément ce que j'entendais.

M.C.: On a dit que les artistes étaient des enfants gâtés dans leurs robes de bal et leurs habits neufs, dans un gala payé par les fonds publics.

V.G.: On a dit que les artistes étaient riches. Je me rends compte qu'on n'a pas été habiles. La prise de parole, avec le recul, je pense qu'on aurait dû l'orchestrer avec des gens qui crèvent de faim. J'aurais dû dire plus clairement que je parlais au nom de tous ces artistes qui ont à peine de quoi vivre.

M.C.: En même temps, ta notoriété a fait en sorte que ton message a eu une portée. Des artistes moins connus se seraient mobilisés et il y aurait eu moins d'impact. Les conservateurs ont profité des préjugés qu'entretiennent certaines personnes sur les artistes. Mais les gens ne sont pas dupes.

V.G.: Ils ont mal joué leurs cartes. Ils ont pris les gens pour des imbéciles. C'est l'erreur qu'ils ont faite. Ils ont cru qu'en frappant fort sur les artistes riches, avec un discours démagogique, ils auraient leur majorité. Mais ils ont eu tort. Moi, je gagne très bien ma vie. Je suis gras dur. Mais le salaire moyen d'un artiste est d'environ 20 000 $.

M.C.: Je sens que tu as des regrets à propos de la façon dont ça s'est passé?

V.G.: Il faut qu'on apprenne. Il faut que le milieu culturel comprenne le pouvoir politique qu'il a. Et qu'il s'organise en conséquence. L'autre pouvoir qu'on a et qui est immense - la vidéo avec Michel Rivard (La culture en péril) nous l'a démontré - c'est l'art. Il faut qu'artistiquement, on soit impliqué. L'espèce de regret que j'ai, c'est qu'on aurait pu être plus structurés. Personnellement, j'ai beaucoup mieux aimé organiser les choses dans l'ombre que d'être en avant aux Gémeaux, avec mon veston et ma cravate, en parlant des funérailles de grand-mère et en me demandant quels mots utiliser. Au sujet de ma grand-mère, j'ai peut-être été malhabile, mais j'ai été sincère. Mon idée, c'était de dire que la culture, c'est large. Je vais continuer à me battre contre le Parti conservateur, en espérant que le gouvernement Harper ne soit plus au pouvoir après les prochaines élections. Mais je suis plus efficace quand je me bats en coulisse.

M.C.: Y a-t-il un prix professionnel à payer pour un tel engagement?

V.G.: C'est drôle. J'ai fait très peu de cinéma, et il y a de jeunes cinéastes qui m'ont appelé récemment. Je suis sûr qu'il y a eu un impact positif. D'un autre côté, ce n'est peut-être qu'une coïncidence, mais je faisais des voix pour la pub et j'en fais beaucoup moins! Aucune depuis les élections...

M.C.: Je ne me souviens pas dans le menu détail de ton discours aux Gémeaux, mais j'ai trouvé que tu ratissais trop large.

V.G.: C'est là aussi que j'ai été naïf. Je savais qu'on allait attaquer les artistes qui ne parlent que d'eux-mêmes, alors j'ai voulu ratisser large. Ma grand-mère venait de mourir. Je me suis demandé si j'étais trop fleur bleue. Je voulais parler de la culture pour parler de l'identité. Mon passage à l'ombre a été salutaire! (rires)