En près de 30 ans de carrière, Normand Brathwaite a réussi l'exploit d'animer des centaines d'émissions, des dizaines de galas, de gagner des millions de dollars, de se payer de grosses maisons, de grosses bagnoles et au moins un hélicoptère, sans écoeurer le peuple ni se faire trop d'ennemis. Son secret? Il n'a jamais rien caché à personne comme en témoigne Grosse vie, une sitcom inspirée de sa vie et de son personnage public. Portrait d'un homme en forme de livre ouvert.

Le 27 août dernier, Normand Brathwaite a eu 50 ans. Et contre toute attente, le nouveau quinquagénaire n'a pas fait de gros pow-wow dans sa résidence secondaire d'Ormstown, ni invité 250 de ses meilleurs amis pour célébrer un demi-siècle de vie, dont 30 années marquées par le succès, le travail et le fric. En lieu et place, Brathwaite est parti au Mexique avec sa femme Marie-Claude, leur fils de 12 ans et Elizabeth, la belle grande fille qu'il a eue avec la chanteuse Johanne Blouin.

 

Pourtant, un mois avant l'anniversaire, Brathwaite avait sérieusement l'intention d'organiser une fête. Mais plus la date approchait, plus l'événement prenait de l'ampleur au point de devenir non plus une simple fête, mais une énorme et coûteuse production. «Le jour où j'ai compris que mon affaire, c'était rendu plus gros que Woodstock en Beauce, avec le cue sheet, le traiteur, les projecteurs, les musiciens, les hélicoptères dans le ciel, les gardiens avec des écouteurs qui dirigent le trafic et moi qui me promène partout sur le terrain avec un walkie-talkie, j'ai décidé de tout annuler. Ça n'avait aucun bon sens. C'était bien trop de pression.» Autant dire que ce n'était pas la première fois que Normand Brathwaite se rendait jusqu'à l'extrême limite de son endurance physique et mentale.

Victime d'épuisement professionnel il y a deux ans alors qu'il animait depuis 15 ans l'émission du matin à CKOI-FM, Brathwaite est probablement le seul épuisé professionnel au Québec, sinon au monde, qui a été incapable d'arrêter de travailler pour se soigner.

«Tout arrêter aurait été la pire chose à faire. Je crois bien que j'en serais mort. Moi, même quand je travaille, je me sens parfois inutile, alors imaginez s'il avait fallu que je ne travaille plus pendant six mois ou un an. Il n'en demeure pas moins que j'ai perdu deux ans de ma vie à souffrir et à me sentir comme le pire des losers. Heureusement qu'il y avait les pilules et ma psy. J'ai fini par passer au travers et aujourd'hui, je me sens plus en forme que jamais.»

Assis à l'entrée de la salle à manger du restaurant japonais Kaizen où il a sa table, ses habitudes et un compte ouvert à l'année, Brathwaite touche à peine à l'assiette de thon cru que le chef lui a préparée. Et cette indifférence qu'il réserve à ce plat délicieux m'apparaît comme une belle métaphore sur le rapport que Brathwaite entretient avec le plaisir. Non pas que l'animateur ne profite pas de la vie ni du luxe que sa fortune lui procure. Le jour de notre rencontre, par exemple, il se préparait à passer le congé de l'Action de grâce dans une suite cinq étoiles à l'hôtel du lac Leamy à Gatineau avec sa femme et son fils. Et pas question de se taper deux heures de route pour s'y rendre. Depuis qu'il a acheté un hélicoptère Robinson à quatre places (pour la modique somme de 350 000$), il ne se déplace presque plus que dans les airs. Certains midis même, il saute dans l'hélico piloté par son ami Normand Dubé ou par sa femme et va luncher dans le resto d'une pourvoirie de Lanaudière au bord d'un lac. Bref, l'argent lui permet de se payer un paquet de petits et grands plaisirs auxquels le commun des mortels et son frère, le petit salarié, n'auront jamais accès.

Bourreau de travail

Reste que la vie de Normand Brathwaite depuis ses débuts en 1980 dans la comédie Chez Denise, puis au théâtre dans La cage aux folles, semble être une suite ininterrompue de contrats et d'engagements tournant autour d'un unique astre: le travail, la grande valeur de sa vie.

Depuis Le match des étoiles jusqu'à Grosse vie en passant par Belle et Bum, les pubs de Réno-Dépôt, sans oublier les galas et la Fête nationale, Brathwaite semble passer sa vie à animer une émission ou un événement. Si le stakhanovisme, cette doctrine stalinienne qui faisait l'apologie du travailleur productif et entièrement dévoué à son travail était d'origine québécoise, il en serait la plus parfaite incarnation. Comme l'ouvrier Stakhanov, Brathwaite est un bourreau de travail qui prend rarement le temps de souffler. Pourtant avec la fortune qu'il a amassée au fil des ans, il pourrait se contenter de faire une apparition de temps à autre à la télé et de se la couler douce le reste de l'année. Mais non. Il faut à tout prix qu'il travaille. Pourquoi?

«Parce que j'aime ça et aussi parce que dans notre famille, tout le monde travaillait. Mon père travaillait tout le temps sur les chantiers de construction. Même chose pour mes oncles qui travaillaient sur les trains. Plus tard, quand j'ai étudié le théâtre à Sainte-Thérèse, je me souviens qu'un prof m'avait prédit que je ne travaillerais jamais comme comédien. Et le pire, c'est que j'étais convaincu qu'il avait raison. Dans ma tête à cette époque-là, je me disais: je suis noir et, à part Othello au théâtre, je vois vraiment pas ce que je vais pouvoir jouer.»

De pur et dur à vedette

L'histoire semble exagérée. Après tout, pourquoi Brathwaite aurait-il étudié en théâtre s'il n'y voyait pas de débouchés?

«Pour être tout à fait honnête, j'aurais voulu être musicien, mais comme je n'avais pas de bases suffisantes pour m'inscrire en musique à Vincent-d'Indy, je me suis tourné vers le théâtre. C'était en 1976. Mon meilleur ami, c'était Marc Béland. Lui voulait devenir une vedette alors que moi, j'étais un pur et dur qui ne voulait faire que du Brecht, du Beckett, du Tremblay à la rigueur, au théâtre. Et puis, la vie a fait que c'est le contraire qui s'est produit. À 20 ans, avec Chez Denise et La cage aux folles, je suis devenue une vedette. Je me souviens d'avoir vu Marc Béland un jour dans la rue. Il avait les cheveux verts et portait une jupe écossaise, alors que moi j'étais en habit au volant de mon Audi 7. C'est bien pour dire.»

Non seulement les rôles entre les deux amis ont-ils été inversés, mais le pur et dur qui ne voulait jouer que du Brecht a abandonné l'interprétation pour devenir un animateur à temps plein.

Retour au jeu

Après Chez Denise qui a pris fin en 1982, Normand Brathwaite n'a plus jamais joué de rôle à la télé, au théâtre ou au cinéma. Grosse vie marque donc pour lui un retour au jeu après plus de 25 ans d'absence.

«C'est presque un nouveau métier pour moi, explique-t-il. Moi, quand je suis animateur, je m'occupe de tout. Du chanteur espagnol jusqu'à la maquilleuse. Mais comme comédien, c'est très différent. Les heures sont plus longues. On commence le matin. On finit tard le soir. C'est pas la même énergie, mais je m'y habitue. Et puis, quel plaisir de me retrouver parmi des comédiens comme Sophie Prégent, Gilles Renaud et Rita Lafontaine que j'adore.»

Le plaisir est peut-être au rendez-vous pour la bande de Grosse vie, mais l'émission a vécu quelques revers et a dû essuyer des critiques sévères. Après des premières cotes d'écoute tournant autour de 800 000, Grosse vie a connu une chute presque aussi spectaculaire que le Dow Jones. «Normal, répond Brathwaite. On a été déchiquetés par la critique puis attaqué par Occupation double. Mais moi, je persiste à croire que Grosse vie est une bonne petite comédie de situation comme dans le bon vieux temps de Chez Denise, avec de super bons acteurs et des textes très efficaces de Martin Forget, l'auteur de Km/h.»

Brathwaite jure que les rires que l'on entend constamment à l'écran ne sont pas des rires en canne, mais de vrais rires du public qui assiste à l'enregistrement. Il concède toutefois que ces rires dérangent une partie des téléspectateurs de la SRC, à cause de leur côté vieillot et décalé. «C'est clair que si on revient l'an prochain, on va essayer de régler le problème des rires, mais en attendant, faut pas perdre de vue qu'il s'agit d'une sitcom traditionnelle conçue en fonction de l'artiste populaire et familial que je suis. C'est sûr qu'on ne réinvente pas la télévision, mais ce n'était pas le mandat de toute façon. Et puis, il y a des gens qui aiment ça et il faut les respecter.»

Étrangement, au moment même où il revenait au jeu à Radio-Canada, Brathwaite entamait des discussions avec son ancien employeur, CKOI-FM. L'animateur ne dit pas non à un éventuel retour à la radio le matin, mais à certaines conditions. Entre autres, il ne veut plus être obligé de parler de Loft Story tous les matins que le Bon Dieu amène. Pour le reste, il est prêt à se lever à nouveau aux aurores et à reprendre du service. À CKOI ou ailleurs.

Grosse pression ou non, ce n'est pas demain la veille que Normand Brathwaite va réduire sa charge de travail.