Les hauts et les bas de Sophie Paquin, Tout sur moi, Minuit, le soir, Les invincibles, Les Bougon, Les Boys ; si toutes ces séries ont pu voir le jour, c'est en partie grâce à une personne : Louise Lantagne. Il y a deux ans, cette diplômée en lettres et en droit, chef des dramatiques à la Société Radio-

Canada, se rapportait à Mario Clément, le directeur général de la télé. Mais depuis qu'elle l'a remplacé, Louise Lantagne se rapporte à elle-même

 

et à son équipe. Portrait de celle qui décide de ce que vous regarderez à la SRC au cours des prochaines années.

Louise Lantagne ne passe pas une journée ni une soirée sans regarder la télé. Et si d'aventure, une activité ou un souper entre amis l'en éloigne, elle enregistre et se repasse tout ce qu'elle a manqué le soir même. Elle le fait parce qu'elle est la directrice de la télévision française de Radio-Canada et que c'est en quelque sorte dans sa définition de tâches. Mais aussi parce qu'elle aime la télévision comme une folle, surtout lorsque la télévision bascule dans la fiction.

Cela n'a rien à voir avec sa récente nomination ni même avec le fait que Lantagne a été la directrice des dramatiques à Radio-Canada et, avant cela, analyste au contenu des films à la SODEQ. Non, cela remonte à son enfance passée à Coaticook, Drummondville et Trois-Rivières, sous le toit de Gustave Lantagne, un sergent de la GRC, et de Georgette Rousseau, une mère au foyer, particulièrement ouverte aux arts.

«J'ai passé mon enfance à déménager à cause du métier de mon père et à lire, raconte l'aînée des trois enfants de la famille Lantagne. Des Malheurs de Sophie jusqu'aux aventures de Sylvie en passant par Stendhal et Maupassant, j'ai adoré et j'adore toujours autant lire. Et ce que j'aime lire par-dessus tout, c'est la fiction parce qu'elle m'aide à comprendre le monde.»

Lantagne aimait tellement lire qu'elle a fait un bac en littérature à McGill, puis s'est lancée dans une maîtrise en littérature comparée. Mais au moment de rédiger sa thèse sur le fantastique dans Maupassant et Oscar Wilde, elle a tout abandonné pour aller étudier le droit à l'Université de Montréal. Pourquoi un virage aussi brutal? Par insécurité? «Absolument pas. Moi, je fais ce que j'aime quand ça me tente, répond-elle. Et ce qui me tentait, c'était de poursuivre des études et de rester dans le domaine des mots.»

Jeune avocate, Lantagne s'est retrouvée attachée politique au cabinet de la ministre Monique Gagnon-Tremblay. Par le plus grand des hasards, affirme-t-elle. Elle a quitté son poste au bout de deux ans pour l'Office des services de garde. C'est ce qu'elle appelle sa période «les deux pieds dans la réalité». La fiction a fini par la rattraper. Par un autre de ces drôles de hasards, elle a appris qu'un poste d'analyste au contenu s'ouvrait à la SODEQ. Elle dit avoir posé sa candidature pour le plaisir et sans croire qu'elle avait une chance. Comme par hasard, elle a obtenu le poste, au grand dam du milieu du cinéma, choqué de voir débarquer une étrangère et une néophyte dans un poste aussi crucial. Avec le temps, le milieu l'a adoptée.

Bonne humeur et ferveur

Il est 16h un petit mardi de semaine. Louise Lantagne m'accueille au 12e étage de la tour de Radio-Canada dans un bureau orange brûlé aux murs parés de deux tableaux abstraits et de la photo d'un chien qui fixe un cornet de gramophone RCA Victor.

Louise Lantagne adore les chiens, celui de L'Auberge du chien noir comme les deux terriers qui trônent en fond d'écran sur son ordinateur. En 2002, elle a même coécrit Correspondance à quatre pattes, un roman en forme d'échange épistolaire entre un chien et un chat. Le récit commence par une lettre de bêtise du chien au chat et se termine par la naissance d'une amitié animale et transversale.

Vu sa nature rieuse et sa bonne humeur indéfectible, on se dit que Louise Lantagne a dû avoir de la difficulté à écrire une lettre de bêtise. À moins que ce soit le contraire et que l'ex-directrice des dramatiques ait pris un malin plaisir à se défouler et à faire dire à un chien tout ce qu'elle-même n'oserait jamais dire à personne.

Chose certaine, voilà une femme qui ne risque pas de se faire poursuivre pour diffamation comme son ex-patron Mario Clément. Pour ceux qui l'auraient déjà oublié, Clément a été poursuivi par les auteurs de la série sur Félix Leclerc après avoir proféré publiquement des propos désobligeants au sujet de leur travail.

À l'époque, Louise Lantagne partageait l'avis de son patron et qualifiait la saga Félix Leclerc de cauchemar. À la fin, elle a exigé que son nom soit retiré du générique de la série. Il y a six mois, elle a été appelée à la barre des témoins pour s'expliquer.

Lorsque je l'interroge sur le sujet, elle se contente de répondre que le juge doit rendre son jugement incessamment. Pour le reste, si Louise Lantagne a retenu une leçon de ce cauchemar, c'est que désormais tout ce qui est diffusé à Radio-Canada est bon, excellent, sinon extraordinaire, même des émissions très critiquées comme Grosse vie ou Roxy.

«Quoi qu'on en dise, ces deux émissions qui sont basées sur l'humour, performent très bien et rejoignent leur public. Moi, en tout cas, je vais les défendre, ne serait-ce que pour les acteurs formidables qui y jouent. Et puis, il faut leur donner du temps. Ces deux séries viennent de prendre l'antenne. Elles sont légères et puis après? Elles rejoignent entre 800 000 et 950 000 téléspectateurs.»

Louise Lantagne défend avec une égale ferveur toutes les autres émissions, les nouvelles comme les anciennes, trouve que Véronique Cloutier a livré un gala des Gémeaux extraordinaire, ne s'offusque pas d'apprendre que Patrice Roy a lancé un «tabarnak» tonitruant alors que le bulletin de 18h éprouvait des difficultés techniques et envoie au passage une fleur à Michel Villeneuve, le transfuge sportif de TQS. «Michel est un excellent communicateur, un leader et quelqu'un de bien. Moi, le chialage qu'il y a eu à son sujet alors qu'il animait l'édition olympique de La Zone, ça ne me dérange pas. Au contraire. Je trouve ça le fun que ça devienne un sujet de discussion dans les chaumières.»

Changements de cap

Il y a à peine deux ans, personne ne voyait Louise Lantagne à la direction de la télé française. Personne, y compris la principale intéressée, qui venait de démissionner de la SRC pour prendre la direction des programmes à Télé-Québec. À la dernière minute, pourtant elle a fait volte-face. Sylvain Lafrance, le grand manitou de la télé, venait de lui faire une offre qu'elle ne pouvait refuser: la direction de la radio publique. «Une fois qu'on a fait cinq ans dans ces jobs-là, dit-elle, on a généralement tout donné ce qu'on avait à donner, on est un peu vidé et c'est le moment de laisser la place aux autres. Moi, en tout cas, c'est mon beat. Après quatre ans et huit mois aux dramatiques, j'avais décidé d'aller me faire voir ailleurs. Je ne m'attendais pas à me retrouver à la tête de la radio publique, mais le défi était trop beau pour passer à côté.»

Son passage éclair à la direction de la radio n'aura pas fait de bruit, mais aura laissé des traces. C'est Lantagne qui a mis Patrick Masbourian à l'antenne le soir et qui a été l'instigatrice du radio-roman Le mont de Vénus écrit par Joanne Arseneau. Elle a offert Studio 12 à France Beaudoin puis à Rebecca Makonnen et a donné sa bénédiction au show d'humour de Philippe Laguë le samedi matin. Mais surtout, c'est Louise Lantagne qui a fait d'Espace Musique, une chaîne musicale multigenres où l'on passe d'une pièce jazz à un morceau reggae et à une sonate de Mozart, tout ça dans un même quart d'heure, une décision qui est loin de faire l'unanimité.

Bref, malgré sa proverbiale bonne humeur, Louise Lantagne n'a pas peur d'imposer des changements de cap majeurs. Quel avenir prépare-t-elle à la télé publique? Impossible de lui soutirer autre chose que des formules toutes faites sur une télé publique qui devra être à la fois novatrice, rassembleuse et pertinente. Elle promet que les séries lourdes vont revenir, mais dans le même souffle affirme que des séries à 800 000$ l'heure est un luxe révolu. Elle est consciente que les téléspectateurs se tournent de plus en plus vers les chaînes spécialisées et se demande si la solution à leur exode ne serait pas de rediriger la programmation de la SRC vers le web après une première diffusion. Elle n'a pas de réponses, mais beaucoup de questions. Et si la tendance se maintient dans le ciel audiovisuel, les questions et les remises en cause n'iront pas en diminuant.