Au risque de vous décevoir, pas question ici de proposer de la musique « qui réchauffe » pour vous aider à traverser le reste de l’hiver. La thérapie d’exposition me semble plus intéressante : affronter la situation redoutée par petites doses, s’y faire graduellement… et trouver que c’est beau.

C’était férocement l’hiver, avec vortex polaire persistant, pendant une tournée dans l’Ouest canadien. À cette époque, l’orchestre de chambre I Musici de Montréal jouait de la musique baroque en première partie (d’où la présence d’une claveciniste à bord) et, toujours, du grand répertoire russe en deuxième partie. Tchaïkovski, Chostakovitch, Borodine : difficile de faire plus émouvant qu’avec Yuli Turovsky, alors à son sommet.

Le nez collé sur la vitre de l’autocar, je voyais les Prairies glacées défiler, avec cette musique en trame sonore, entendue presque chaque soir quand je me faufilais dans la salle après l’entracte :

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Vingt ans plus tard, j’ai un blanc : musique russe, certainement, mais quoi déjà ?

Au téléphone, je chante le passage à ma grande amie de tournée. Elle commence par ajouter en contrepoint sa partie d’alto « Ta-ti-ti-ta-ta-ti-ti-ta-ta ». Puis, sûre d’elle : « Tchaïkovsky, Souvenir de Florence ! »

Voilà donc mon souvenir très hivernal accompagné par des impressions italiennes… Mais en fouillant un peu, on voit qu’au moment d’écrire l’œuvre, en 1890, Tchaïkovski était de retour en Russie, et surtout préoccupé par la difficulté de composer pour sextuor à cordes. Le fait qu’il parte d’esquisses réalisées à Florence semble assez secondaire ; on souligne d’ailleurs souvent le caractère typiquement russe de ce thème.

Ne jamais s’arrêter au titre. Les musiques n’ont pas de saison : elles marquent notre calendrier personnel par les émotions qu’elles ont cristallisées.

Et pourtant, si je vous ai promis une thérapie d’exposition, c’est que certains compositeurs ont cherché à faire du beau avec l’inconfortable, à communiquer la sensation physique du froid.

Depuis qu’on joue les célèbres Quatre saisons de Vivaldi sur instruments anciens, les craquements des pas sur la glace et le sifflement du vent hivernal ont pris du relief.

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J’ai connu l’Air du froid de Purcell par le film culte Molière, d’Ariane Mnouchkine. Molière est mort en février 1673 : sa troupe le transporte, agonisant, dans une tempête de neige étonnante pour Paris, sur cette musique composée… en 1691. Mais devant une scène comme celle-là, l’exactitude historique est bien secondaire : la puissance qui s’en dégage l’emporte.

Une vidéo récente des Arts Florissants, parue sur Facebook dans leur belle série #ArtsFloWinter, crée un lien inoubliable entre un autre air célèbre de Purcell et l’hiver. Il faut voir la mezzo-soprano Léa Desandre chanter Music for a While dans une minuscule église de toute évidence mal chauffée : la condensation qui se crée devant sa bouche semble dessiner la musique et sublimer notre peur actuelle des aérosols. On croit alors aux mots chantés : « La musique un moment/trompera tous vos tourments ».

Franz Schubert, dans son Winterreise (le voyage d’hiver, 1827), est beaucoup plus métaphysique. Les 24 poèmes du cycle, composé pour voix d’homme et piano, suivent un amoureux déçu qui s’aventure dans la neige pour engourdir sa douleur. Mais le compositeur, un an avant sa mort, alors qu’il souffre déjà de la syphilis, parle d’un voyage plus décisif. Une expérience musicale à vivre au moins une fois dans la version arrangée par le Montréalais Normand Forget. Un quintette à vents (Pentaèdre) et un accordéon entourent le ténor allemand Christoph Prégardien ; ces couleurs instrumentales rendent le récit encore plus captivant et poignant.

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D’accord, assez gelé, assez souffert.

Vous avez marché dehors, plus que par les hivers passés, les sentiers bien tapés par vos pieds le prouvent dans tous les parcs de la ville. J’espère que la beauté de la lumière et des ombres qui s’allongent sur la neige en après-midi vous a parfois saisis.

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L’ensemble vocal britannique Voces8 a capturé ce genre de beauté dans un disque simplement intitulé Winter. On rappelle souvent que les Inuits ont des dizaines de mots pour décrire la neige, selon son état précis du moment ; les voix de Voces8 ont un vocabulaire sonore infini pour évoquer le versant calme de l’hiver. Profitez-en !