Au croisement de l'opéra, du jazz et du gospel, Champion raconte une histoire de boxe qu'on croirait calquée sur l'actualité sportive.

Les univers de la boxe professionnelle et de l'opéra ne se croisent pas souvent. Peut-être pas jamais, mais, disons, rarement.

Michel Beaulac, directeur artistique de l'Opéra de Montréal, n'en croyait pas ses yeux lorsque le boxeur Adonis Stevenson a été plongé dans le coma, début décembre, après s'être effondré au 11round de son combat de championnat du monde.

Le fait est que Champion, spectacle présenté dès la semaine prochaine dans la métropole, raconte l'histoire vécue du pugiliste Emile Griffith, qui a terrassé son adversaire Benny Paret en 1962.

«C'est la réalité qui rejoint la réalité ! s'exclame Michel Beaulac. C'est une coïncidence totale, mais elle donne une réalité encore plus grande au spectacle.»

Heureusement, Stevenson a connu un destin autrement moins tragique que celui de Paret. Le Québécois s'est réveillé quelques jours après le combat, alors que Paret, un Cubain, a perdu la vie après un long coma.

Et Champion, joué pour la première fois à Saint Louis en 2013, ne se résume pas non plus à un K.-O. L'opéra raconte plutôt la vie hors du commun de Griffith, campé par deux chanteurs qui représentent différents moments de son existence. Le tout sur la musique du trompettiste de jazz Terence Blanchard, prolifique compositeur pour le cinéma et collaborateur de longue date du réalisateur Spike Lee, entre autres.

Sur scène, la distribution d'une dizaine de chanteurs sera soutenue par le Montreal Jubilation Gospel Choir, le Choeur de l'Opéra de Montréal et l'Orchestre symphonique de Montréal.

Montée dramatique

Né en 1938 dans les îles Vierges américaines, Griffith a commencé à boxer plus ou moins contre son gré lorsque le patron de l'usine de chapeaux où il travaillait a remarqué à quel point il était athlétique. En 1961, à 23 ans, il devenait champion du monde des mi-lourds dans le premier de trois combats contre Benny Paret.

Au moment de la pesée officielle, le matin de leur troisième et ultime affrontement, Paret souffle une insulte homophobe à Griffith. Secrètement bisexuel, ce dernier répond avec ses poings le soir venu. Le 24 mars 1962, au 10e round, il martèle son adversaire d'une quinzaine de coups en quelques secondes.

Paret ne se réveillera jamais. Griffith, lui, demeurera toute sa vie hanté par cette tragédie. Il mourra en 2013, largement diminué par une attaque au bâton de baseball subie à la sortie d'un bar gai de New York 20 ans auparavant.

Le public plonge dans Champion par l'entremise du personnage de Griffith qui, vieilli et affaibli, revisite son passé alors qu'il s'apprête à aller rencontrer le fils de Paret.

«C'est une histoire qui parle de tout : de la vie, de la situation socioéconomique des Noirs, de boxe, d'homosexualité, de culpabilité, d'intimidation... C'est une oeuvre véritablement fascinante», s'enthousiasme Michel Beaulac.

Sur mesure

Le spectacle présenté à Montréal mettra en scène les trois principaux chanteurs de la production originale - la basse Arthur Woodley et le baryton-basse Aubrey Allicock se partagent le personnage d'Emile Griffith, alors que le ténor Victor Ryan Robertson incarne Benny Paret.

Arthur Woodley raconte qu'à ses yeux, camper Griffith représente «le rêve de tout artiste». À plus forte raison à l'opéra, où les personnages forts afro-américains se font rares.

«C'est un rôle taillé sur mesure pour moi», souligne le chanteur en entrevue à La Presse.

«C'est un personnage complexe, qui arrive à la fin de sa vie et qui constate enfin qui il est vraiment. Pour moi, c'est un véritable héros. Et comme je viens moi-même des îles Vierges, c'est la première fois que je peux utiliser mon véritable accent!»

En préparation au rôle, Woodley s'est imprégné de la vie de Griffith, en lisant notamment de vieux magazines de boxe racontant ses combats.

Sur scène, il l'incarne dans la dernière partie de sa vie. C'est donc son acolyte Aubrey Allicock qui a dû s'enfermer au gymnase pour jouer le jeune Émile au plus fort de sa carrière de boxeur.

«Je ne suis pas jaloux, j'adore le vieil Émile!», s'esclaffe Arthur Woodley, qui fêtera cette année ses 70 ans.

Au goût du jour

Dans la lignée des JFK et Another Brick in the Wall, présentés au cours des dernières années, Champion s'inscrit dans la mission que Michel Beaulac s'est donnée en prenant les rênes de l'Opéra de Montréal en 2007: faire entrer l'institution «au XXIe siècle».

En effet, ce drame sportif, divisé entre jazz, gospel et opéra, a peu à voir avec le répertoire traditionnel.

«Ça fait plus de 400 ans que l'opéra existe, alors si on veut que ça continue, il faut qu'on se connecte avec la réalité d'aujourd'hui: qu'on parle de choses d'aujourd'hui dans une musique écrite aujourd'hui», indique Michel Beaulac, directeur artistique de l'Opéra de Montréal.

Selon Arthur Woodley, Champion plaît autant au nouveau public qu'aux puristes les plus endurcis.

«Quand nous avons produit le spectacle pour la première fois, un groupe d'abonnés - des personnes assez âgées, avouons-le! - est venu assister à toutes les répétitions, se rappelle le chanteur. Et ils se sont levés d'un trait à la fin de la première. Ils avaient compris ce qu'on voulait leur montrer.»

«C'est la musique qui fait toute la différence, ajoute-t-il. Est-ce que c'est du jazz, de l'opéra? Ça n'a pas d'importance. C'est accrocheur, ça touche les gens. C'est tout ce qui compte.»

Champion. Musique de Terence Blanchard. Livret de Michael Cristopher. Présenté à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, les 26, 29, 31 janvier et 2 février.