Yannick Nézet-Séguin est en forme. En très grande forme. Aussitôt que la répétition à laquelle nous avons été convié lundi s'est terminée, il a réglé quelques détails avec le soliste et le premier violon, puis a quitté au pas de course la scène de la salle Marguerite-Bourgeoys, du collège Regina Assumpta, pour venir nous rejoindre.

Les répétitions programmées cette semaine avaient pour but de préparer les quatre concerts qui marquent officiellement ce soir le début de la 19e saison de l'Orchestre Métropolitain (OM) en compagnie de Yannick Nézet-Séguin. Au programme, les Concertos pour piano no 3 et no 4 de Rachmaninov (programmés indépendamment), la Symphonie no 1 de Sibelius, de même qu'une création de Nicolas Gilbert.

«Une semaine typique de l'OM, c'est toujours un peu atypique, dit Yannick Nézet-Séguin. On offre un concert jeudi à la Maison symphonique, on fait ensuite un aller-retour à Toronto, pour mieux rejouer samedi soir à Montréal. Puis dimanche, on fait le concert pour Télé-Québec.»

Ajoutons à cela un concert qui avait lieu hier soir à LaSalle et qui lançait une série de plusieurs sorties dans les arrondissements de Montréal, un souhait du chef et de son entourage.

Les deux concertos de Rachmaninov seront interprétés par Nicholas Angelich. «Nicholas, c'est l'ami de longue date le plus proche que j'ai. On a fait tellement de concertos tous les deux, c'est incroyable. Beethoven, Mozart, De Falla, les deux Ravel, les deux Brahms, le Schuman... Souvent, je lui demande ce qu'il a envie de faire. Là, il m'a dit qu'il voulait faire les Rachmaninov. On a décidé d'explorer ça ensemble.»

Ceux qui assisteront au concert de ce soir entendront le Concerto pour piano no 4 du compositeur russe. Cette oeuvre, que l'on qualifie de «mal aimée», comporte plusieurs défis. «Elle n'a pas le jus passionné, immensément mélodique, du deuxième et du troisième. Cela dit, je crois que c'est à partir de là qu'il s'est raffiné au niveau des orchestrations. Ce qui est merveilleux, c'est que Nicholas fait entendre tous les détails de l'oeuvre.»

L'arrivée à New York

Le début de cette saison est marqué par plusieurs choses pour Yannick Nézet-Séguin. Si elle symbolise la fin d'une longue histoire avec l'Orchestre philharmonique de Rotterdam et la suite de deux autres très belles avec l'Orchestre de Philadelphie et l'OM, elle symbolise aussi son arrivée au Metropolitan Opera de New York.

Même s'il dirigera officiellement son premier opéra en novembre prochain, le chef a profité de plages de répétition pour établir un contact avec les musiciens de l'orchestre. «On a répété des pièces qu'on va jouer en juin au Carnegie Hall. J'ai pris cela comme prétexte pour remettre l'orchestre en forme avant le début de la saison. On a travaillé la pâte. On a parlé d'attaques, d'écoute, d'archets, de sons, d'articulations. J'ai réalisé que la pression ces dernières années de savoir que j'allais commencer sans vraiment commencer était énorme. Ça m'a procuré le sentiment d'enfin plonger. Ça a été des journées fabuleuses.»

Yannick Nézet-Séguin apprend à devenir tout doucement un New-Yorkais. Il a récemment déniché un appartement à quelques minutes de marche du Lincoln Centre. Bientôt, il répétera La Traviata, qui sera présentée en décembre, Pélléas et Mélisande en janvier et Dialogue des Carmélites en mai. Malheureusementpour ceux qui attendaient la rencontre magique de Nézet-Séguin et de Robert Lepage lors de la reprise du Ring de Wagner, en mars, sachez que le chef québécois n'occupera pas le pupitre. «Ça va se faire, mais pas cette année.»

Même si l'arrivée de Yannick Nézet-Séguin au Met est récente, déjà on sent sa présence. On a récemment annoncé que l'institution avait commandé des oeuvres à des compositrices. «Je voulais qu'on prenne davantage les devants, que l'on soit dans le driver's seat», souligne-t-il.

«Les questions d'inclusion et de diversité sont très importantes pour moi. Je veux créer une meilleure représentativité par rapport à ce que l'on est dans la rue.»

Un peu comme il l'a fait avec l'OM, Yannick Nézet-Séguin veut sortir le Met de son territoire. «Je suis très fier de cela. Je veux que l'on fasse des choses avec le Brooklyn Academy of Music, avec le Public Theatre. Il va falloir aller dans le nord de la ville, à Harlem et dans le Bronx. Ça va nous permettre d'explorer un répertoire qui ne sied pas toujours bien dans une salle de 4000 places.»

Yannick Nézet-Séguin a l'intention de s'impliquer davantage dans les choix artistiques. «Je ne veux pas être seulement celui qui procure la musique. Je veux que l'on travaille ensemble. Mais avant de vraiment mettre mon empreinte sur tout cela, ça va prendre un peu de temps.»

En effet, les deux prochaines saisons (2018-2019 et 2019-2020) n'ont pas été conçues par lui. En revanche, il a terminé la saison 2020-2021. «Quant à la saison 2021-2022, elle est pratiquement établie. Hier, j'ai eu une réunion à distance avec l'équipe du Met et on a discuté de certains opéras pour 2025-2026.»

Vous croyez que ce calendrier est exagérément chargé ? Yannick Nézet-Séguin nous a parlé d'une invitation à un évènement très prestigieux qu'il a reçue et qui va au-delà de cela.

Génération Passe-Partout

Dans un documentaire d'un réalisateur néerlandais, il y a une scène délicieuse où l'on voit Yannick Nézet-Séguin utiliser l'exemple du thème de Passe-Partout pour expliquer un détail aux musiciens de l'Orchestre philharmonique de Rotterdam. Il a alors droit à des dizaines de paires d'yeux écarquillés.

Celui qui fait partie de la génération bercée par Cannelle et Pruneau aura l'occasion de vivre un certain rêve en dirigeant, dimanche soir, un concert qui soulignera les 50 ans de Télé-Québec.

«J'ai aimé cette proposition, car pour les musiciens de ma génération, il y a là un fantasme. On a créé deux blocs à partir des différentes musiques de l'émission.»

Ce concert rendra également hommage aux émissions jeunesse (Le Club des 100 watts), d'humour (Like-moi, Les bobos) et d'affaires publiques (Avec un grand A, Télé-Service). «Ces airs me rappellent mon enfance. Ca fait partie de mon ADN culturel qui définit qui je suis. Au-delà de cela, il y a le travail des orchestrateurs. Faut pas croire que c'est facile, tout cela. Les musiciens travaillent très fort.»

Normand Brathwaite, celui par qui la musique arrive à Télé-Québec depuis des décennies, se greffera aux musiciens de l'OM durant ce concert. Quant à Véronique Béliveau, l'interprète du mythique thème de Télé-Québec, elle nous fera le bonheur de sa présence (comme ce fut le cas aux Gémeaux) en offrant l'air splendide composé par Yves Lapierre.

Un nouvel enregistrement avec Deutsche Grammophon

Yannick Nézet-Séguin profitera de son séjour à Montréal pour réaliser un nouvel enregistrement, le deuxième, avec la maison Deutsche Grammophon. Il s'agit cette fois d'airs de Verdi avec Ildar Abdrazakov. Les séances d'enregistement vont se dérouler dans quelques jours à l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus. Un premier disque avec la prestigieuse maison, paru en 2017, avait réuni Ildar Abdrazakov et Rolando Villazon.

Lundi, l'Orchestre Métropolitain enregistrera pour la maison Atma la Symphonie no 1 de Sibelius. La séance aura lieu sur la scène de la Maison symphonique. «Le plan n'est pas encore tout à fait défini. Pour le moment, on pense enregistrer une autre symphonie de Sibelius l'an prochain et faire un disque avec tout ça. Vous savez, avec la vente de la musique en ligne, le concept de disque a changé.»