En Europe, surtout en France, Jean-Christophe Spinosi a partagé des épisodes cruciaux de sa carrière avec Marie-Nicole Lemieux. Et voici le premier épisode québécois: le chef d'orchestre français dirigera aujourd'hui la contralto québécoise et Les Violons du Roy à la Maison symphonique, soit deux jours après avoir offert le même programme au Palais Montcalm à Québec.

«Marie-Nicole est quelqu'un de tellement spécial, elle a la particularité peu courante d'être à tous les instants dans l'émotion, au coeur de sa relation avec la musique et l'auditoire. Avec elle, il n'y a que des moments privilégiés. Nous sommes frère et soeur de musique», affirme sans ambages le musicien français de 53 ans, natif de la grande région parisienne.

Jean-Christophe Spinosi avait d'abord étudié le violon puis la direction d'orchestre avant de s'investir à fond dans la musique de chambre ou la musique pour de plus grands ensembles. En 1991, il fondait le Quatuor Matheus, devenu ensuite l'Ensemble Matheus, orchestre à géométrie variable établi à Brest.

Son répertoire touche toutes les époques de la grande musique, y compris l'époque contemporaine. Il dirige régulièrement les pointures de la profession, mais ses exécutions de musique baroque ont assis sa réputation. Sous étiquette Naïve, des enregistrements sous la direction Jean-Christophe Spinosi consacrés à Vivaldi avaient connu un vif succès au milieu de la décennie précédente; sa version de l'Orlando furioso lui valut une Victoire de la musique classique.

Du coup, le maestro fut au coeur de la révélation de Marie-Nicole Lemieux auprès du public français.

«À Paris, raconte-t-il, il n'y avait pas eu d'opéra de Vivaldi depuis 25 ans lorsque nous avions entrepris de jouer l'Orlando furioso. L'exécution de cette oeuvre me tenait beaucoup à coeur, je cherchais une personne capable de couvrir toute la gamme des émotions pour tenir le rôle-titre. J'avais la possibilité de recruter des artistes connus et... j'ai entendu un enregistrement de Marie-Nicole, Le spectre de la rose de Berlioz. J'ai trouvé ça tellement beau! Trop musical! À peu près personne à Paris ne savait qui elle était, malgré son premier prix du Concours musical international Reine Élisabeth de Belgique - gagné en 2000.»

Jean-Christophe Spinosi prit alors contact avec Marie-Nicole Lemieux, réussit à la convaincre de camper le rôle-titre, non sans difficultés.

«Après avoir accepté une première fois, relate-t-il, elle a eu peur et annulé pour finalement accepter. Ce fut un triomphe! Du jour au lendemain, elle était devenue une artiste essentielle à la scène musicale parisienne. Au terme d'une pression énorme, ça avait été merveilleux. C'est comme si nous avions remporté la finale de Wimbledon et que nous n'étions absolument pas favoris. Nous avions vécu tellement d'excitation, de larmes de peur et de joie...»

Une relation durable

Pour Spinosi et Lemieux, cette expérience fut la fondation d'une amitié et d'une relation professionnelle qui dure depuis.

«J'ai dirigé avec elle plusieurs fois par la suite. Depuis quelques années, nous ne nous sommes pas perdus de vue, mais... nous suivons nos parcours respectifs, vivons d'autres aventures. Mais lorsque nous nous retrouvons, c'est comme si nous nous étions quittés la veille. Humainement et musicalement, nous sommes proches, mais d'une manière rare. C'est très spécial.»

Ravi de venir « chez elle », le maestro dirige cependant pour la deuxième fois Les Violons du Roy en terre francophone d'Amérique.

«J'y étais venu il y a deux ans avec Les Violons du Roy. Je m'étais très bien entendu avec les musiciens de cet orchestre. Revenir les diriger avec Marie-Nicole, c'est la cerise sur le gâteau», renchérit-il.

Le programme «plutôt festif» de ce samedi est construit autour de Rossini et Mozart.

«Dans ce programme plutôt tonique, explique le chef d'orchestre, Marie-Nicole est dans son élément. Elle devient tellement les personnages qu'elle chante! Avec elle, on ne peut qu'être servi dans ces couleurs, ces airs pleins de joie, d'amour et d'énergie - même si elle peut être aussi une tragédienne extraordinaire. Cette fois, elle incarne des héroïnes à fort caractère et y apporte une touche très personnelle. Elle a cette capacité de réinventer les personnages à travers elle-même. Pour Marie-Nicole, comme pour moi, d'ailleurs, la musique, c'est du théâtre.»

Avec Les Violons du Roy, cette approche «théâtrale» s'annonce similaire aux relations que le maestro établit avec tous les ensembles qu'il dirige, l'objectif étant de désamorcer l'abstraction du langage musical afin de mieux l'incarner.

«Aux musiciens ou aux chanteurs, je parle toujours de théâtre, d'affect, de dramaturgie. Même lorsque c'est de la musique instrumentale, cela reste le théâtre de la vie et des émotions. Ainsi, je scénarise la musique, je crée des personnages, des images. Ce n'est pas la vérité, mais ça marche pour moi; la rhétorique et le vocabulaire technique de la partition sont clarifiés s'ils sont générés par l'émotion théâtralisée.»

Jean-Christophe Spinosi ne fait pas d'exceptions à ce titre: 

«Je prends tous les orchestres comme le mien. Les musiciens qui vous invitent veulent une vraie personne, pas un professionnel avec une stratégie. Ils ont envie de goûter les chefs invités dans leurs différences et leurs particularités. Avec Les Violons du Roy, donc, je m'amène en restant moi-même. Vous savez, ce n'est pas facile d'être soi-même, c'est un réel effort que d'y parvenir sans se protéger. Je préfère risquer de m'en prendre plein la gueule que de réussir dans la standardisation.»

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À la Maison symphonique, ce soir, 19 h 30.

Les Violons du Roy

Chef: Jean-Christophe Spinosi

Soliste: Marie-Nicole Lemieux, contralto

Programme  

G. ROSSINI (1792-1868) Extraits de L'Italienne à Alger

Sinfonia

Cavatine Cruda sorte... Già so per pratica (acte I, scène 2)

Cavatine Per lui che adoro (acte 2, scène 5)

Soliste: Marie-Nicole Lemieux

Sinfonia de La Cenerentola

W. A. MOZART (1756-1791)

Voi che sapete che cosa e amor de Le Nozze de Figaro, K. 492

Soliste: Marie-Nicole Lemieux

G. ROSSINISinfonia d'Il Barbiere di Siviglia

W. A. MOZARTAria Non so più de Le Nozze di Figaro

G. ROSSINI Quel dirmi, oh dio ! de La pietra del paragone

Soliste: Marie-Nicole Lemieux

J. HAYDN (1732-1809)

Extrait de la Symphonie no 82 en do majeur, Hob. I : 82 «L'ours»

 4. Finale: Vivace assai

G. ROSSINICavatine Una voce poco fa d'Il Barbiere di Siviglia

Soliste: Marie-Nicole Lemieux