Ne cherchez pas Lewis Furey sur la grande autoroute de la musique, vous allez poireauter longtemps. Fidèle à lui-même, il a emprunté un chemin de traverse. Et pas n'importe lequel. Après 10 ans de cogitation et d'exploration, cet inclassable s'attaque aux lieder de Brahms. Rencontre avec celui qui est souvent là où on ne l'attend pas.

Il est arrivé en marchant rapidement avec cette grâce féline qui a toujours accompagné son allure et ses chansons. Il a tout de suite fait baisser la musique un peu envahissante du bar Laïka où il avait donné rendez-vous à La Presse. Quand Lewis Furey est avec vous, il est avec vous.

«C'est vrai que j'ai toujours aimé plonger dans des répertoires différents du mien pour le simple plaisir de le faire. Je l'ai fait avec la musique country au moment de faire le disque Western Shadows pour Carole Laure [sa conjointe depuis 39 ans]. J'ai aussi plongé dans West Side Story de Leonard Bernstein pendant un an.»

Depuis de nombreuses années, des amis de Lewis Furey insistaient pour qu'il s'intéresse aux lieder de Brahms. On lui disait que c'était pour lui. Le compositeur allemand a publié les partitions de ses lieder à raison de 6 à 10 tous les deux ans. À partir de l'âge de 20 ans et jusqu'à sa mort, à 63 ans, en 1897, Brahms a composé près de 300 lieder. Lewis Furey en a retenu 17 pour créer un spectacle qu'il présente à compter de ce soir au Petit Outremont.

Certains puristes pourraient être étonnés de découvrir qu'un chanteur «populaire» ose s'aventurer sur un tel sentier. 

«Il faut savoir que ces lieder n'étaient pas destinés à être chantés dans des salles de concert, mais dans des salons. On achetait les partitions et on chantait cela à la maison. C'était donc des chanteurs ordinaires qui les interprétaient. Quand j'ai compris cela, j'ai commencé à vraiment les aimer.»

Les spectateurs qui iront voir ce spectacle devront donc oublier les interprétations faites avec des chanteurs classiques. «Oui, sinon ils vont être déçus, dit Lewis Furey. Je trouve que c'est dommage de dire qu'il faut être Dietrich Fischer-Dieskau pour chanter un lied de Brahms. C'est comme dire qu'il faut être un grand professeur de littérature pour lire un roman. Lire un roman, c'est donné à tout le monde.»

Lewis Furey est intarissable au sujet de Brahms. Il pourrait en parler pendant des heures. «C'est un grand compositeur. Il sait rendre l'émotion dans ce qu'il écrit. C'est d'une telle intelligence», ajoute-t-il avant d'établir un lien entre la thérapie de Gestalt et les émotions ressenties durant cette incursion dans l'univers du compositeur.

Musique pour l'âme

Ces lieder s'inspiraient de poèmes que Brahms choisissait au gré de ses envies. Ils provenaient de divers auteurs allemands, pour la plupart des auteurs «mineurs». Lewis Furey s'est attelé à les traduire en anglais. «Ils avaient déjà été traduits dans le passé, mais je partage l'opinion de plusieurs traducteurs: on traduit pour sa génération.»

Lewis Furey n'a pas été tenté d'imiter Serge Gainsbourg qui s'amusait à créer des textes originaux sur des airs classiques.

«Les textes qu'a utilisés Brahms sont trop collés aux musiques. Quand il dit que "la pluie tombe sur les feuilles", la musique reproduit cela. Je ne pouvais donc pas tout réinventer.»

Méthodique et minutieux, Lewis Furey montre un classeur à anneaux qu'il a apporté. On y voit la liste des oeuvres qu'il va interpréter à compter de ce soir et, à côté de chacune d'elle, des notes anecdotiques entourant leur création. Pour chacun des lieder, Lewis Furey a fait des recherches et a rédigé des textes qui vont servir à les présenter au public.

«Par exemple, pour ce lied, je sais que Brahms l'a composé en pensant à son amie Clara Schumann. Son fils Felix venait de mourir et son autre fils Ludwig était dans un hôpital psychiatrique. Elle était très mal. Il lui a donc envoyé une sonate pour piano et violon et un lied. Il croyait fermement que la musique pouvait agir sur les émotions des gens et les changer. Il offrait sa musique tel un médicament de l'âme à ses amis.»

Plus Lewis Furey parle de Bramhs, plus on découvre que ces deux hommes se ressemblent beaucoup, au fond. Ce refus de porter une seule étiquette et cette manière d'accoler une forme de spiritualité à la musique, tout cela montre que ces deux artistes étaient faits pour se rencontrer. «Je suis assez fou pour dire que, parfois, je deviens Brahms», dit Lewis Furey en riant.

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Au Petit Outremont ce soir, ainsi que les 10 et 11 novembre.