La relève en musique classique est abondante et prometteuse, au Québec comme ailleurs. Chaque année, des centaines de musiciens sortent des conservatoires et des universités, diplôme en poche. Ils rêvent de vivre de leur art. Au-delà du talent, indispensable, comment y arriver? Des musiciens de la Virée classique 2015 racontent leur parcours du combattant. Entrevue thématique.

Le grand saut après les études

«Quand on est étudiant en musique, on a énormément de possibilités de se produire en public dans le cadre scolaire, et on a accès à des bourses d'études. On évolue au sein d'une structure avec le soutien des enseignants. La période qui suit la fin des études est peut-être la plus difficile. On se retrouve devant l'inconnu, il faut gagner sa vie et ce n'est pas facile de réussir la transition entre la vie d'étudiant et celle d'un musicien établi», note Jayson Gillham, pianiste et lauréat 2012 du Concours musical international de Montréal, en récital le 8 août, 12h45.

Des compétences inattendues

«Quand on commence, il y a beaucoup d'obstacles inattendus, mais ils ne sont pas insurmontables. Il faut apprendre sur le tas une foule de choses que l'on ne nous enseigne pas à l'école: comment lancer son ensemble, organiser un concert ou une série, faire sa publicité, faire des demandes de subventions, présenter des projets aux organismes et ainsi de suite. C'est un défi, mais c'est enrichissant», indique Caroline Tremblay, flûtiste à bec de Flûte alors!, en concert le 7 août, 18h et 20h15.

Se produire soi-même

En 2015, les jeunes musiciens doivent développer des qualités d'entrepreneur et lancer leurs propres projets pour se créer du travail. «Avec notre ensemble Flûte alors!, on produit nos propres séries de concerts depuis 2008. La flûte à bec a un beau public à Montréal. Il y a énormément de flûtistes et de gens qui aiment ça. Mais avec un quatuor de flûtes à bec, on occupe un créneau qui n'existait pas ici, même si c'est très courant en Europe. On a vu qu'il y avait un intérêt et qu'on pouvait occuper une niche», affirme Marie-Laurence, flûtiste à bec de Flûte alors!.

Les auditions

«Comme chanteur, on dépend beaucoup des auditions. Il faut être au bon endroit au bon moment. J'ai participé au programme des Jeunes ambassadeurs lyriques, qui organise des échanges avec d'autres pays et qui invite chaque année des directeurs d'opéra de l'étranger à entendre des chanteurs d'ici à l'occasion d'un concert gala. Grâce à cela, j'ai été repérée par un responsable du théâtre d'Augsbourg, près de Munich. J'ai été invitée à chanter là-bas pendant trois semaines l'automne dernier. Cet automne, j'y retourne pour chanter pendant six mois en tant que salariée, car là-bas, ils ont des chanteurs payés à l'année. Il y a des spectacles tous les soirs», se réjouit Christianne Bélanger, mezzo-soprano, qui chantera le rôle de Mercédès dans Carmen, le 5 août au Parc olympique.

Les concours

«Le fait de gagner un concours de musique, surtout s'il s'agit d'un concours prestigieux, aide énormément. Ça te donne une notoriété et une visibilité, et les diffuseurs se disent que tu pourras bien faire le travail. Dans mon cas, il y a eu un "avant" et un "après" le Concours OSM, l'an dernier. Quand j'ai gagné, je me suis mis à recevoir une foule d'offres par téléphone, et même sur Facebook! J'ai obtenu des contrats dans l'année, ici et ailleurs au Canada», affirme Hugo Laporte, baryton, qui chantera le rôle du Dancaïre dans Carmen le 5 août au Parc olympique et qui donnera un récital le 8, à 18h45, au Piano Nobile.

Avoir un agent

Le besoin d'avoir un agent varie selon les instruments et les objectifs. Pour un chanteur, c'est pratiquement indispensable. «C'est important de faire beaucoup d'auditions, et de faire les bonnes. Les agents savent ce qui se passe, quelles productions s'en viennent dans les maisons d'opéra et qui contacter. Nous, on ne le sait pas et le fait de ne pas avoir les contacts peut nous faire perdre du travail. Quand on est prêt à se lancer et qu'on a des objectifs clairs, c'est presque obligatoire d'avoir un agent», juge Hugo Laporte.

Les tournées

Beaucoup de jeunes musiciens travaillent grâce à des OSBL qui organisent des tournées dans un réseau bien établi. Une bonne porte d'entrée pour se faire connaître. «Flûte alors! travaille avec les Jeunesses musicales du Canada depuis trois ans. Nous n'avons pas d'agent, mais les Jeunesses et d'autres organismes similaires nous trouvent des endroits pour jouer. Ils ont un énorme réseau de diffuseurs qui leur sont fidèles et leur font confiance. Il faut leur présenter un projet et passer une audition. En 2012-2013, nous avons donné une quarantaine de concerts grâce à eux dans l'est du Canada. Nous avons fait aussi une tournée avec Debut Atlantic, un organisme qui fonctionne par appels de candidatures, et joué au Labrador. L'an prochain, on fait Prairie Debut, pour jouer dans l'Ouest canadien pendant trois semaines. On risque d'aller au Yukon!», disent Caroline Tremblay et Marie-Laurence Primeau.

Les contacts et l'attitude

«Peu importe le domaine, tout est une question de réseau. Pour un soliste, le marché est international et les contacts sont encore plus essentiels. Vous jouez en Norvège et, le lendemain, vous jouez à Londres. Quand vous rencontrez des décideurs en personne - en particulier les chefs d'orchestre, lorsqu'ils vont travailler ailleurs -, ils se souviendront de vous et vous inviteront à jouer de nouveau s'ils ont apprécié. C'est pourquoi il est vraiment important d'avoir une bonne attitude et de créer des liens, même si cela demande du temps et de l'énergie. Si vous êtes une personne difficile, pourquoi voudraient-ils travailler de nouveau avec vous alors qu'il y a tant de jeunes musiciens capables de jouer magnifiquement?», demande Jayson Gillham.