À 65 ans, bientôt 66, Pinchas Zukerman aurait-il décidé de devenir un musicien décent? Jusqu'à présent, on l'a surtout entendu comme violoniste et vu - je dis bien vu - comme chef d'orchestre. Du violoniste, on a retenu une facilité déconcertante mais un goût souvent très douteux, et ce, jusqu'à la façon de se comporter en scène. Du chef d'orchestre, rien à signaler.

On a toujours remarqué cependant que Zukerman était plus à l'aise à l'alto qu'au violon. Le présent concert de l'OSM, donné trois fois comme fin de 80e saison, le présente comme soliste du rare Concerto pour alto de Bartok. C'est la deuxième fois qu'il le joue à l'OSM, l'ayant fait avec Dutoit en 1987 lors d'un concert où il jouait aussi Harold en Italie de Berlioz. Cette fois, c'est Bartok seulement et c'est pleinement satisfaisant: 20 minutes d'un envoûtement total.

Zukerman, la crinière toute blanche, la démarche élégante même, sans une once du cabotinage habituel, projette un son d'alto d'une ampleur et d'une couleur quasi palpables dans l'acoustique miraculeuse de cette Maison symphonique pourtant si détestable sur d'autres points. Mais il n'y a pas que ce son d'alto, l'un des plus vrais qu'on puisse souhaiter. Zukerman donne un sens à ces montées et descentes, arpèges, doubles cordes, trilles et harmoniques dont Bartok parsème sa partition.

Datée de sa dernière année et complétée par son disciple Tibor Serly, l'oeuvre ne compte pas parmi les plus remarquables du compositeur. Pourtant, Zukerman parvient presque à nous convaincre du contraire, avec un engagement absolu, une technique prodigieuse et l'appui d'un orchestre qui fait corps avec lui. Une question demeure néanmoins. Zukerman, lui si souvent décevant, se maintiendra-t-il à ce niveau lors des reprises du concert?...      

Le concert débute par la Symphonie no 104 de Haydn, officiellement la dernière de 12 composées pour Londres entre 1791 et 1795. Peu importe ces détails. Ce qui compte, c'est ce qu'en fait Nagano. Comme son soliste, cet homme sait nous émerveiller à l'occasion. Joué avec toutes les reprises sans exception, son Haydn est toujours précis et riche de subtilités que l'on goûte une à une dans le silence absolu de la salle... jusqu'à ce que le bruit des chaises qu'on traîne pour les retardataires nous replonge dans l'univers quotidien de la bêtise.

En fin de concert, la troisième Symphonie de Brahms reçoit une interprétation valable, bien que moins soignée. Les cordes jouent avec chaleur et tout l'orchestre sonne bien, mais on note quelques petits accrochages, deux ou trois ritardandos inutiles, parce que non indiqués, et, surtout, des trompettes beaucoup trop fortes au finale.

Le concert se termine à 22 h 30. C'est trop long. On n'avait pas besoin de la pièce de Vivier aux 13 cordes. Serge Garant et plus récemment Walter Boudreau, chaque fois à la SMCQ, ont livré de cette musique tout en grincements une image autrement plus troublante que cette lecture appliquée dont les 18 minutes semblent interminables.

Le concert est donné à la mémoire de Franz-Paul Decker qui, décédé lundi à 90 ans, fut le chef de l'OSM de 1967 à 1975. Madeleine Careau, chef de la direction de l'OSM, rappelle son rôle ici. Nagano invite le public à «un moment de silence et de méditation» et dirige ensuite le paisible Air sur la corde de sol, d'après Bach.

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ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef d'orchestre: Kent Nagano. Soliste: Pinchas Zukerman, altiste. Mercredi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Reprises jeudi et samedi, 20 h.       

Programme:

Symphonie no 104, en ré majeur, Hob. I :104 (Londres) (1795) - Haydn

Concerto pour alto et orchestre, Sz. 120 (1949) - Bartok

Zipangu, pour cordes (1981) - Vivier

Symphonie no 3, en fa majeur, op. 90 (1883) - Brahms