Lorsque, deux heures après avoir écouté le troisième Quatuor à cordes de Schumann, c'est Misty qui vous chante encore à l'oreille, il faut se dire qu'il y a un problème. Et le problème, il n'est pas chez vous. Il est au sein du groupe que vous venez d'entendre.

Le jeune Quatuor Ébène, de France, revenait dimanche au LMMC après y avoir fait ses débuts le 10 avril 2011 dans un programme français, avec des Debussy, Ravel et Fauré transfigurés par une approche sonore absolument nouvelle. Les visiteurs en étaient alors restés là et n'avaient pas donné de rappel.

Leur retour, dimanche, leur avait valu une salle comble à Pollack : 600 personnes, ou presque. Le miracle d'il y a trois ans s'est de nouveau produit... jusqu'au dernier moment, où tout s'est écroulé. Nous étions encore secoués par le finale du Schumann et son récurrent motif de galop sauvage lorsque le violoncelliste fit taire l'ovation du public debout pour annoncer... un rappel.

Après consultation, on identifia la chose : Misty, composition du pianiste de jazz Erroll Garner. Une première au LMMC, cela est certain! Autre certitude : une trouvaille mélodique absolument irrésistible, fût-elle noyée sous l'épais «beurrage» des messieurs Ébène. La preuve : on l'entend encore deux heures plus tard, alors qu'il serait bien difficile de chanter les Haydn, Bartok et Schumann qui précédaient.

Le phénomène confirme une fois de plus que la mélodie reste, plus encore que le rythme, la vraie force d'une musique. En même temps, on ne comprend pas ce que Misty venait ajouter au programme. Comme si on avait servi des gâteaux Vachon après un Saint-Honoré.

Et pourtant, quel extraordinaire ensemble, cet Ébène! Depuis la sobre tenue en scène jusqu'aux inépuisables nuances du jeu collectif, tout n'est ici que beauté. Les quatre archets bougeant en même temps produisent une sonorité parfaitement unifiée où les composantes conservent toute leur autonomie.

Dans l'op. 20 no 5 de Haydn, un vibrato légèrement réduit crée une sonorité sombre qui souligne le tragique de ce quatuor presque entièrement en mineur. On lit ici et là que le quatrième Quatuor de Bartok, aux cinq mouvements concentriques et contrastants, est le plus important des six du compositeur hongrois. On n'en doute plus, après la présente exécution fourmillant des plus étonnants raffinements sonores.

Le Schumann nous vaut la même révélation... enfin, presque. Si l'Adagio est toujours aussi soporifique, le reste est  avec tant d'amour qu'il nous parle enfin éloquemment. Et le mouvement à variations, ainsi livré avec toutes les reprises, devient irrésistible... comme le sera Misty dans quelques instants!

QUATUOR À CORDES ÉBÈNE - Pierre Colombet et Gabriel Le Magadure (violons), Mathieu  Herzog (alto) et Raphaël Merlin (violoncelle). Dimanche après-midi, Pollack Hall de l'Université McGill. Présentation : Ladies' Morning Musical Club.

Programme :

Quatuor no 23, en fa mineur, op. 20 no 5, Hob. III : 35 (1772) - Haydn

Quatuor no 4, Sz. 91 (1928) - Bartok

Quatuor no 3, en la majeur, op. 41 no 3 (1842) - Schumann