En perdant leur chef et fondateur Yuli Turovsky, les Musici ont perdu une partie de leur public. Spectacle désolant que celui de toutes ces rangées vides, vendredi soir, salle Bourgie. Pourtant, le programme, déjà très varié, affichait non pas un mais deux solistes. Et le petit orchestre était plus que doublé pour l'occasion: il passait de 15 à 33 musiciens. Que faut-il donc pour attirer les gens? Comment expliquer que d'autres font salle comble au même endroit, salle comble aussi à la Maison symphonique et ailleurs, et ce, sans nécessairement afficher les Quatre Saisons? Pourquoi n'est-on pas venu en plus grand nombre à ce concert, seul inscrit au calendrier vendredi soir?

Nous croyons savoir pourquoi. Mais nous ne le dirons pas. C'est au chef Jean-Marie Zeitouni et à son entourage d'y voir. Nous nous contenterons de ceci: comme s'ils avaient senti que le concert serait décevant, beaucoup de gens sont restés chez eux.

Au départ, le programme était beaucoup trop long: deux heures et quart. Il est prouvé que la concentration exigée d'un auditoire de concert est de deux heures au maximum, entracte compris. Or, la pièce de résistance, Verklärte Nacht de Schoenberg, venait en fin de soirée, après l'exécution de quatre oeuvres qui avaient réclamé autant d'attention chez les auditeurs que de travail chez le chef et les musiciens. À 22 h, la fatigue avait gagné tout le monde. Les musiciens, la moitié assis et l'autre debout, s'enlisaient de plus en plus dans cette musique qui n'en finissait plus de tourner en rond.

Nuit transfigurée, dit le titre français de la pièce. Transfigurée en quoi? En un pensum absolument insupportable, alors que «transfigurer» veut dire «transformer en améliorant». Bien au contraire, l'orchestration, même si elle est de Schoenberg, alourdit terriblement l'original, conçu pour un sextuor à cordes. L'exécution se ramena d'ailleurs à un mélange de longues séquences bien en place, de petites imprécisions de toutes sortes au sein de l'orchestre et de moments où il était clair que le chef avait perdu le fil.

La soirée avait débuté par une création de Cassandra Miller, obscure compositrice locale, sous la forme d'un double hommage au centenaire de Britten et au compositeur Colin McPhee, natif de Montréal. En six minutes, les cordes évoquent habilement le mouvement sensuel de la musique balinaise que Britten découvrit grâce à McPhee.

De Britten encore, le cycle Les Illuminations utilise des poèmes de Rimbaud qui sont non seulement très hermétiques mais placés si haut dans la tessiture qu'on n'en comprend à peu près pas un mot. Tout en soulignant le double exploit de la soprano Dominique Labelle d'avoir mémorisé ces textes incompréhensibles et d'avoir rendu avec force cette musique acrobatique, tout en soulignant aussi le délirant commentaire orchestral, il faut bien reconnaître qu'on ne distinguait à peu près rien de ce qui était chanté et que ces Illuminations, malgré leur titre, restent l'une des oeuvres les plus impénétrables du répertoire.

La Serenata notturna appartient au secteur le moins intéressant de l'immense production de Mozart. Zeitouni et ses musiciens l'ont joliment tournée et lui ont donné un peu de dimension grâce à l'ornementation des reprises et à des cadences, dont une pour timbales, du plus comique effet.

Finalement, le meilleur moment du concert, on le doit à Julie Triquet. En plus d'être très sollicitée comme violon-solo de l'orchestre dans la quasi-totalité du concert et d'avoir assumé ce rôle brillamment, elle était la soliste de la délicate romance The Lark Ascending de Vaughan Williams. Il est question ici d'un oiseau qui prend son vol. Julie Triquet a suggéré ce geste avec une élégance et une poésie de tous les instants et une précision, une justesse et une beauté de son absolues, et ce, jusqu'à la toute fin où le violon monte au suraigu et plane, complètement seul, au milieu du silence.

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I MUSICI DE MONTRÉAL. Chef d'orchestre: Jean-Marie Zeitouni. Solistes: Julie Triquet, violoniste, et Dominique Labelle, soprano. Vendredi soir, salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts.

Programme:

After All (2013) (création) - Miller 

The Lark Ascending, pour violon et orchestre (1914, rév. 1920-21) - Vaughan Williams

Les Illuminations, pour voix et cordes, op. 18 (1939) - Britten

Sérénade no 6, en ré majeur, K. 239 (Serenata notturna) (1776) - Mozart 

Verklärte Nacht, op. 4 (1899, orchestration: 1943) - Schoenberg