Ne nous plaignons pas de retrouver Marie-Nicole Lemieux et Karina Gauvin avec une fréquence qui semble parfois abusive. Style et raffinement n'y sont pas toujours, mais, en revanche, chez l'une et l'autre, quelles belles voix : égales, somptueuses et, disons-le, séduisantes, en comparaison de ce que la nouvelle venue Stephanie Blythe avait à offir samedi soir.

N'ayant attiré qu'une demi-salle, la Fricka du nouveau Ring du Met ouvrait la série Maison symphonique des Violons du Roy après avoir chanté à Québec jeudi et avant d'entreprendre une brève tournée aux États-Unis avec l'orchestre de Bernard Labadie.

La mezzo américaine de 43 ans chante d'abord la cantate Arianna a Naxos de Haydn et, plus tard après l'entracte, trois airs de l'opéra Giulio Cesare de Handel. La voix est puissante, aucun doute là-dessus. Mais l'aigu est dur, l'intonation n'a pas toujours l'absolue perfection requise et la chanteuse perd des points sur les plans du phrasé et de la musicalité. Le médium ne pose pas de problèmes, mais c'est finalement le registre grave qui se révèle le plus intéressant.

Cette région de la voix sert particulièrement bien les trois airs de Handel où la chanteuse incarne des personnages masculins, soit César lui-même et le roi d'Égypte, Ptolémée (devenu Tolomeo puisque l'opéra est chanté en italien). Les deux rôles furent d'ailleurs créés respectivement par un castrat et par une basse.

Le premier air de César montre l'empereur romain horrifié devant la tête coupée de son ennemi Pompée, offerte en «cadeau» par Ptolémée. Il s'agit d'un air de bravoure rempli de terrifiants mélismes qui trouvent la chanteuse presque à bout de souffle. Le résultat ne passerait jamais au disque, par exemple. À cet égard, on écoutera Marijana Mijanovic dans l'intégrale de Minkowski, chez Archiv.

L'air de Ptolémée découvre le roi égyptien humilié par l'attitude de César et jurant de le faire assassiner. Comme dans l'air précédent, la chanteuse projette une grosse voix d'homme, un peu à la manière d'Ewa Podles, et la colore d'une hargne qui ne laisse aucun doute sur les intentions du monarque offensé.

Le troisième et dernier air nous ramène César, cette fois abandonné sur un rivage après avoir échappé à la mort. C'est un air avec récitatif, le plus long des trois, lent et triste, que la chanteuse rend avec une certaine expression, mais sans émotion. Le même commentaire s'applique à son Haydn, lu devant lutrin et privé des divers états d'âme qui secouent la pauvre Ariane abandonnée sur son île. Ovationnée après ses trois Handel, la chanteuse ajoute le célèbre «Che faro» de l'Orfeo de Gluck, livré comme un air d'oratorio.

Augmentés de trois hautbois et d'un basson (et même d'un archiluth dans un cas), les Violons du Roy complétaient le programme avec une Suite en huit mouvements de Telemann (appelée ici «Ouverture») et la quatrième Suite de Bach, indiquée «en version originale» sans qu'on précise pourquoi (et que parfois on appelle aussi «Ouverture»). Les deux oeuvres reçurent des exécutions qui, elles, n'appellent aucune espèce de réserve. Il faut bien le reconnaître, les Violons du Roy sont probablement le meilleur orchestre de chambre qu'on entend en saison à Montréal. Le Telemann était vif, mordant, plein d'humour et de variété dans les dynamiques. Le trio de hautbois se détachait des cordes avec netteté et Labadie conféra au cinquième morceau une gravité rappelant les adieux de Didon chez Purcell. Le Bach offrait d'intéressantes oppositions de timbres à travers des reprises si nombreuses qu'on ne les comptait plus.

    

LES VIOLONS DU ROY. Chef d'orchestre : Bernard Labadie. Soliste : Stephanie Blythe, mezzo-soprano. Samedi soir, Maison symphonique, Place des Arts.

Programme :

Suite en do majeur, TWV 55 : C6 (c. 1730) - Telemann

Cantate Arianna a Naxos, Hob. XXVIb : 2 (1789) - Haydn

Suite pour orchestre no 4, en ré majeur, BWV 1069 (c. 1730) - Bach

Trois airs de l'opéra Giulio Cesare, HWV 17 (1724) - Handel