C'est la chose à ne pas dire. Alors, disons-la donc! L'Orchestre du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg est une formation de tout premier plan, irréprochable dans toutes ses composantes, mais il n'est pas le seul à occuper ce sommet. Nous avons entendu ces dernières années les principaux orchestres de New York, de Philadelphie et de Pittsburgh, qui sont certainement du même niveau. Et notre propre OSM, lorsqu'il est entre les mains d'un chef qui l'inspire vraiment, peut sonner aussi magistralement.

Bien malin, donc, celui qui pouvait affirmer entendre là un orchestre se démarquant carrément de tant d'autres... et même affirmer qu'il écoutait là un orchestre russe, car le phénomène de la mondialisation gagne maintenant l'univers des orchestres: de plus en plus, ceux-ci ont tous à peu près la même sonorité collective.

Un autre aspect de la question: sans vouloir déprécier l'Orchestre Mariinsky (le nom abrégé qu'il utilise désormais), il faut bien reconnaître qu'on ne l'a entendu jusqu'ici, et même au disque, que dans le répertoire russe. On ne sait absolument pas comment il se défendrait dans Mozart, Beethoven, Brahms, Bruckner ou Debussy, par exemple.

Donc, parfait pour la musique de son pays, le Mariinsky.

C'était la troisième visite de l'orchestre et son chef Valery Gergiev et la deuxième avec le même soliste, le pianiste Denis Matsuev. Gergiev vint d'abord deux fois à l'OSM comme chef invité, en 1992 et en 2007, pour nous revenir ensuite avec le Mariinsky, en 2010 (avec Matsuev) et en 2011 (sans soliste).

Cette fois, le programme était consacré à Rachmaninov et, de nouveau, la salle était absolument comble. Pour l'orchestre seul, le chef avait choisi deux oeuvres chronologiquement aux extrêmes de la production du compositeur. Tout d'abord, la fantaisie symphonique Utyos - en français: Le Rocher  -, page d'un compositeur de 20 ans décrivant quelque passade malheureuse. Dutoit avait dirigé cette rareté à l'OSM en 1991. Il y a là, en 16 longues minutes, un beau solo de flûte qui monte des profondeurs lugubres de l'orchestre, mais aussi beaucoup de bruit et une certaine vacuité, comme souvent chez Rachmaninov.

L'oeuvre qui occupe l'après-entracte est la toute dernière du compositeur: les Danses symphoniques, datant de son long exil aux États-Unis et créées à Philadelphie en 1941. Intéressant rappel historique: Rachmaninov se produisit à Montréal une quinzaine de fois comme pianiste, faisant ici même, en 1931, au théâtre Saint-Denis, la création de ses Variations sur un thème de Corelli.

Les Danses symphoniques, que Gergiev fait en 37 minutes, sont magnifiquement orchestrées, avec un nostalgique solo de saxophone alto au début et, à la toute fin, des martèlements du Dies irae sans doute annonciateurs de la mort, qui allait frapper le musicien deux ans plus tard. Mais elles sont répétitives, surtout au mouvement central, et beaucoup trop longues. Le chef de 60 ans, qui dirige tout sans baguette et avec la partition, en a tiré le maximum d'expression et sa centaine de musiciens lui a répondu à la perfection. On regrette simplement que tant d'effort n'ait pas été axé sur la deuxième Symphonie, par exemple, ou même la troisième, qui sont des oeuvres autrement plus captivantes.

En fait, un seul Rachmaninov familier figurait au programme: le célèbre deuxième Concerto. Matsuev avait joué le troisième en 2010, salle Wilfrid-Pelletier. Cette fois encore, la technique est vertigineuse. Mais l'homme en fait trop état. Chez lui, tout est axé sur la vélocité, même le mouvement lent; l'absence de musicalité est navrante et les octaves déboulent le clavier avec une indescriptible vulgarité. En comparaison, Alain Lefèvre est un artiste raffiné.

La foule ovationne debout, à grands cris, et le pianiste lui lance deux rappels: de Rachmaninov encore, le Prélude op. 32 no 5, d'une étonnante sobriété, ensuite un peu de jazz (l'une de ses spécialités, comme on sait). Gergiev ajoutera lui aussi deux rappels à la fin du concert: Baba-Yaga de Liadov, bref morceau qui fait revivre la sorcière des légendes russes, et, de Tchaïkovsky, cet extrait de Casse-noisette qui servait autrefois d'indicatif à la regrettée Heure du concert de notre télévision. Cette fois, la pièce met en relief la riche phalange des violoncelles, à l'avant-scène, et les imposants cuivres, à l'arrière.

ORCHESTRE DU THÉÂTRE MARIINSKY. Chef d'orchestre: Valery Gergiev. Soliste: Denis Matsuev, pianiste. Vendredi soir, Maison symphonique, Place des Arts.

Programme consacré à Sergueï Rachmaninov:

Le Rocher, fantaisie symphonique, op. 7 (1893)

Concerto pour piano et orchestre no 2, en do mineur, op. 18 (1901)

Danses symphoniques, op. 45 (1941)