La violoniste américaine Anne Akiko Meyers vient d'accomplir un exploit qui, irréalisable en concert, est rare même dans le monde de l'enregistrement où tous les trucages sont possibles: elle joue les deux parties solistes du Concerto pour deux violons de Bach (ré mineur, BWV 1043).

À Londres, avec l'English Chamber Orchestra dirigé par Steven Mercurio, elle a d'abord enregistré la partie de premier violon (violon I) sur un Stradivarius de 1697 récemment acquis. Quatre mois plus tard, dans un studio de New York et munie d'un casque d'écoute, elle y a greffé la partie de second violon (violon II) sur un autre «Strad», celui-là de 1730, qui l'accompagne depuis plusieurs années.

La violoniste dit avoir voulu souligner ainsi la différence dans les sonorités des deux instruments: brillante sur le «Strad» de 1697, plus sombre sur celui de 1730. Jascha Heifetz avait accompli un tel exploit en 1946. Bien que réalisé en mono (la stéréo n'allait venir qu'une dizaine d'années plus tard) et sur le même violon, l'enregistrement de Heifetz montre déjà cette différence, pour la simple raison que la musique se déroule souvent sur plusieurs registres.

Mais, je le reconnais, le contraste est plus fort chez Meyers: non seulement il y a là deux violons différents, mais la virtuose joue beaucoup du vibrato et la prise de son fait le reste.

Il faut se rappeler que le Concerto pour deux violons débute au violon II. Le violon I n'entre qu'à la cinquième mesure. En fait, les deux violons se confondent avec l'orchestre pendant un certain temps. La vraie différence dont parle la violoniste se manifeste à partir de la mesure 21. Pour vérification sur l'indicateur: violon I à 00.49, violon II à 01.00. On passe, en effet, du brillant au sombre. Le contraste n'est pas toujours aussi frappant cependant.

Meyers ajoute les deux Concertos pour un violon (la mineur, BWV 1041; mi majeur, BWV 1042), mais on ne précise pas sur quel instrument elle les joue. Peu importe. Partout, son Bach est énergique, toujours expressif, loin des préoccupations musicologiques.

Le disque, à couleur commerciale, avec comme titre Air - The Bach Album, est complété par des arrangements d'un goût discutable. On en fera abstraction pour s'en tenir aux trois concertos.

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ANNE AKIKO MEYERS. AIR - THE BACH ALBUM. EONE. SPHCD 5607.