Curieux quand même : on construit une nouvelle salle qui sera la «résidence» de l'Orchestre Symphonique de Montréal, cette nouvelle salle accueille d'autres orchestres, dont le Métropolitain, des organismes comme Pro Musica y donnent leurs concerts de musique de chambre et, pour comble, le même OSM y présente à son tour de la musique de chambre, ce qui n'est pas son mandat et entre en concurrence directe avec les locataires du lieu dont c'est la spécialité, voire avec d'autres organismes qui oeuvrent ailleurs, comme le Ladies' Morning Musical Club.

Jeudi soir, c'était donc - pour citer la brochure de saison de l'OSM - «Menahem Pressler & ses amis», adaptation française d'une formule américaine reprise jusqu'en Europe. L'événement était, bien sûr, centré sur le légendaire pianiste de 88 ans, seul survivant de la formation originale (1955) du Trio Beaux-Arts et qui, toujours très actif, arrivait de Paris et de Stockholm, repartait pour Chicago, etc.

L'OSM est fort en marketing et sait remplir ses salles. À cet égard, il pourrait donner quelques leçons, par exemple aux pauvres Musici, qui n'arrivent pas à attirer 400 personnes pour le jeune chef d'Edgar et ses fantômes. Jeudi soir, la Maison symphonique de 2 000 places était bien remplie pour Menahem Pressler. Bravo.

Pourtant, il y a problème. Les vrais amateurs de musique de chambre s'y sont retrouvés au milieu d'une foule peu habituée au genre et qui, bien qu'écoutant de toutes ses oreilles, applaudissait après chaque mouvement sans exception, comme après chacune des pièces du groupe pour piano seul, détruisant ainsi la continuité du discours et l'atmosphère souhaitée.

La Maison symphonique - le nom l'indique déjà - n'est pas faite pour la musique de chambre. Celle-ci s'y trouve quand même plus à l'aise qu'à Wilfrid-Pelletier et la distance qui, à la dernière rangée de la corbeille, me séparait des musiciens n'était pas vraiment gênante.

Menahem Pressler fut incontestablement le héros de la soirée. Petit et rondelet, entrant en scène d'un pas léger et visiblement heureux d'être là, il reste celui que nous avons toujours connu, penchant l'oreille vers ses coéquipiers pour s'assurer que tout est bien en place et menant les opérations jusque dans le moindre détail.

Par-dessus tout, le pianiste et le musicien n'ont pas changé. Une ou deux petites fautes au passage sont celles que font des pianistes de 20 ans. Pressler joue précisément avec des doigts de 20 ans : l'agilité, la force de la basse, la fraîcheur des trilles et des gruppettos, les rapides croisements de mains, les plus infimes nuances de dynamique, tout, chez lui, tient du miracle et trouve son écho dans l'extraordinaire nouveau Steinway de New York qu'il avait choisi.

Les trois «amis» assis au premier plan, devant le piano, forment hélas! un petit rassemblement bien médiocre. Le violoniste miaule, le violoncelliste joue faux et madame l'altiste n'est que l'ombre de ce qu'elle fut jadis. Finalement, dans le sublime Mozart et dans l'inégal et interminable Dvorak, on n'écoute que Pressler, comme s'il était seul en scène.

Dieu merci, il l'est à un moment donné, colorant les trois Estampes de Debussy d'un sens du raffinement français qu'on ne lui connaissait pas. Il ajoute en rappel un Nocturne de Chopin (le «posthume» en do dièse mineur), puis les quatre coéquipiers terminent le concert avec le mouvement lent du Quatuor op. 60 de Brahms.

Cette célébration des «aînés sans âge» s'étendait à une abonnée de l'OSM depuis plus de 70 ans qui fêtait jeudi soir ses 99 ans : Mme Pauline Dozois, veuve de Paul Dozois, qui fut ministre des Finances sous Duplessis. J'ai connu Mme Dozois il y a 15 ou 20 ans. Jeudi soir, je l'ai retrouvée aussi vive - et avec une poignée de main aussi ferme! - que notre cher Menahem!

MENAHEM PRESSLER, pianiste, Alexander Kerr, violoniste, Nobuko Imai, altiste, et Eric Kim, violoncelliste. Jeudi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Présentation : OSM. Dans le cadre du festival Montréal en Lumière.

Programme :

Quatuor pour piano et cordes no 1, en sol mineur, K. 478 (1785) - Mozart

Estampes, pour piano (1903) - Debussy

Quatuor pour piano et cordes no 2, en mi bémol majeur, op. 87, B. 162 (1889) - Dvorak

Photo fournie par l'OSM

Pauline Dozois, 99 ans, fêtée jeudi soir par l'OSM.