Ce sera très certainement le concert le plus long en 75 ans d'existence de l'Orchestre Symphonique de Montréal: cinq heures et demie. Donné devant lutrins, sans décors ni costumes, les 5 et 9 décembre, salle Wilfrid-Pelletier, Saint François d'Assise, l'opéra-fleuve d'Olivier Messiaen et son seul dans le genre, débutera à 18h et se terminera vers 23h30. La partition elle-même fait au moins quatre heures. Deux entractes sont prévus: l'un de 50 minutes au cours duquel on pourra se procurer un goûter, l'autre de 20 minutes.

Messiaen travailla dès 1975 et pendant huit ans à cette commande de l'Opéra de Paris, qui la créa le 28 novembre 1983 avec le baryton belge José van Dam dans le rôle-titre et sous la direction de Seiji Ozawa, à quelques jours du 75e anniversaire de naissance du compositeur. La présentation de l'OSM fait partie des événements entourant son centenaire (né en 1908, Messiaen est mort en 1992). Il s'agit d'une première au Canada mais non en Amérique: l'Opéra de San Francisco (au nom prédestiné, dirait-on) monta l'oeuvre avec décors et costumes en 2002.

 

Kent Nagano, qui la dirigera à l'OSM, assista Ozawa à la création et travailla la partition avec Messiaen. Il l'a dirigée maintes fois depuis, notamment au Festival de Salzbourg en 1997, et en a signé l'année suivante un enregistrement chez Deutsche Grammophon, avec José van Dam reprenant le rôle qu'il avait créé 15 ans plus tôt.

Sujet inhabituel

On imagine mal aujourd'hui un compositeur écrivant un opéra sur un sujet comme saint François d'Assise et, qui plus est, un opéra de quatre heures. Liszt a illustré le personnage avant lui, mais dans une simple pièce pour piano, Saint François d'Assise: la Prédication aux oiseaux, qui fait de 10 à 12 minutes. Mais quatre heures!

Sans doute qu'il faut accepter Messiaen tel qu'il est... ou aller ailleurs. Homme très religieux (en attitude et en paroles tout au moins) et fasciné par l'ornithologie, Messiaen a choisi comme sujet de son testament musical celui qu'il appelle «mon saint préféré, parce qu'il est le saint qui ressemble le plus au Christ et qu'il parlait aux oiseaux».

Le scénario - huit tableaux groupés en trois actes - nous montre d'abord Il Poverello («le petit pauvre»), le fondateur de l'ordre des Franciscains, guérissant en l'embrassant un lépreux que lui a envoyé un personnage appelé l'Ange; puis, au deuxième acte, faisant un sermon aux oiseaux et les bénissant; enfin, au troisième acte, mourant dans sa caverne, entouré de l'Ange et du Lépreux. Six autres personnages, tous «frères» en communauté, interviennent ici et là en des situations auxquelles il est difficile de vibrer si on n'est pas très proche de certaines croyances religieuses.

Effectifs considérables

L'opéra de Messiaen requiert des effectifs considérables. Tout d'abord, un orchestre de 120 instrumentistes: 68 aux cordes, un éventail considérable de vents, depuis trois piccolos jusqu'au tuba-contrebasse, toute une panoplie de percussions, trois claviers d'Ondes Martenot et cinq claviers métalliques (xylophone, marimba, xylorimba, vibraphone et glockenspiel), le tout suggérant, comme si souvent chez Messiaen, quelque gigantesque gamelan ou une multiplicité d'oiseaux.

S'y ajoutent, un choeur de 100 voix représentant le Christ et neuf chanteurs solistes dont le plus sollicité est évidemment l'interprète de saint François.

Pour la présente exécution, l'OSM sera complété par des musiciens de nos trois orchestres universitaires. Décision un peu moins populaire chez les musiciens locaux mais attribuable à ce que l'OSM appelle «la difficulté technique de l'oeuvre et un horaire extrêmement serré», Nagano a confié deux claviers d'ondes et quatre claviers métalliques à des musiciens étrangers qui ont participé à son enregistrement ou à ses exécutions publiques de l'oeuvre.

La distribution réunit les Français Marc Barrard (rôle-titre) et Laurent Alvaro, les Montréalais Aline Kutan (l'Ange), Gino Quilico, Antonio Figueroa et Benjamin Butterfield et l'Américain Chris Merritt (le Lépreux), qui remplace Stanford Olsen indisposé. M. Merritt chante le même rôle dans l'enregistrement DG de Nagano. Deux choristes rempliront les très petits rôles.

Le concert sera accompagné de projections et de surtitres.

Sur le budget que représente une telle entreprise, aucun chiffre n'est dévoilé. «Par respect pour les artistes et leurs ententes respectives», se contente de répondre la direction de l'OSM.

Une synthèse

«Synthèse de mes découvertes musicales», dit Messiaen à propos de son opéra. On y retrouve en effet ces formules rythmiques, harmoniques et sonores qui rendent son langage musical si distinctif. Le texte, qui est de Messiaen lui-même, est souvent non accompagné et plus proche du parlé que du chanté, ce qui permet de mieux le suivre.

La critique a été jusqu'à présent très louangeuse pour l'opéra de Messiaen, mais quelques sons de cloche différents se sont aussi fait entendre. Ainsi, celui de Jacques Drillon, critique iconoclaste s'il en est. Au lendemain de la création, et sous le titre «Aussi peu franciscain que possible», il osait parler d'«insincérité du texte», de «contenu sucré, malsain, vicié», de «jésuitisme», de «nausée» et d'«écoeurement total». Après une journée passée à écouter Saint François d'Assise, j'ose à mon tour: Drillon n'a pas complètement tort!

Saint François d'Assise, opéra d'Olivier Messiaen, les 5 et 9 décembre à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.