Un rappeur en moins, Dead Obies a lancé la semaine dernière son troisième album. Rencontre avec le groupe qui se prétend le «meilleur à avoir existé au Québec». Rien de moins.

«Dead O toujours au sommet de la liste/Now on est five, on est fabulous.»

Cet extrait, tiré de la pièce Royautés, ne pourrait mieux résumer la posture de Dead Obies.

À quelques jours du lancement de son troisième album, DEAD., le groupe veut non seulement continuer de s'affirmer comme la référence hip-hop au Québec, mais surtout souhaite montrer que le départ de son représentant le plus illustre n'a pas amputé son esprit créatif.

Un départ difficile

Lorsque Jean-François Ruel, alias Yes McCan, rappeur et acteur-vedette de la série Fugueuse, a annoncé le printemps dernier qu'il quittait le groupe pour poursuivre une carrière en solo, plusieurs fans se sont demandé si ce départ n'annonçait pas la fin de Dead Obies.

Sans surprise, le public n'a pas été le seul à s'interroger. Les trois MC délégués pour rencontrer La Presse ont répondu à la question avant même qu'on la leur pose: oui, le départ de Yes McCan les a grandement affectés. «Ça nous a ébranlés, avoue le rappeur 20Some. Mais ça nous a confrontés davantage en tant qu'amis qu'en tant que band.»

«Un sentiment d'urgence est embarqué automatiquement, précise Ogee Rodman, autrefois connu sous le sobriquet d'OG Bear. C'était à nous d'utiliser ça comme tremplin pour le prochain projet.»

«Je me souviens quand JF nous l'a annoncé : en moi, plein d'alarmes ont sonné. C'était un signe, je voulais continuer. Ça m'a vraiment stimulé, car j'aime écrire dans l'urgence.»

S'ils refusent de donner une signification unique et sans équivoque au titre de leur album, les gars s'entendent sur une chose: Dead Obies est, au contraire, loin d'être mort. À preuve, plutôt que de s'éparpiller, le sextuor devenu quintette s'est plus que jamais regroupé, passant l'été à écrire, composer, enregistrer. Par conséquent, au moment de faire la sélection de pistes pour l'album l'automne venu, le groupe avait littéralement des dizaines de chansons sous la main.

Aucun effort d'écumage n'a été lésiné: les 11 titres finaux ne totalisent que 41 minutes, la moitié de la durée des deux premiers albums. Le format tombe sous le sens sur le plan organisationnel - un rappeur de moins, un couplet de moins par chanson -, mais aussi sur le plan pragmatique: les pièces courtes trouvent plus facilement leur place dans les listes d'écoute des sites de musique en continu. Néanmoins, «il y a peut-être moins de mots sur l'album, mais ils ont plus de poids», explique Joe Rocca. «On a voulu aller à l'essentiel.»

Maturité

Un thème revient à plusieurs reprises au cours de l'entrevue : celui de la maturité. Ce n'est pourtant pas exactement le premier mot qui nous vient en tête lorsqu'on pense à Dead Obies. Le son, le look, les paroles, la dégaine, les clips... On peut présumer que le groupe ne vole pas trop de parts de marché à Mario Pelchat.

N'empêche, même si seulement six ans ont passé depuis la parution de Montréal $ud, premier album du groupe conçu en deux semaines, ses membres témoignent ouvertement de l'évolution qu'ils ont observée dans leur approche créative. «On se sent capables de laisser aller une chanson, de l'enlever de l'album pour la garder pour un show, illustre 20Some. Ça prouve qu'on a fait un bout de chemin, qu'on est capables de faire des choix plus éclairés. Ça donne un album très équilibré, plus structuré.»

Le retrait d'un décideur dans l'équation a aussi eu son effet. «Ç'a été une grosse année à remettre les pendules à l'heure en termes de communication interne: c'était important que tout le monde se sente écouté, dise ce qu'il a à dire. Ç'a beaucoup facilité la sélection pour l'album», ajoute Ogee Rodman.

Selon Joe Rocca, cette nouvelle sagesse s'est transmise dans les thèmes abordés dans les chansons.

«Tant qu'à faire de la musique, être écoutés, pourquoi ne pas dire des vrais shits ? S'inspirer de trucs négatifs pour en faire sortir du bien? Ce sont des trucs qui nous rejoignent, qu'on a envie de dire à l'âge qu'on a, à l'approche ou au début de la trentaine.»

Maestro

Le beatmaker du groupe, VNCE, n'était pas présent à la rencontre avec La Presse. Cela n'a pas empêché ses acolytes de s'enflammer instantanément à l'évocation du son de ce nouvel album. De fait, on sent (et entend) le soin maladif que le producteur apporte à ses instrumentaux, jonglant avec les ambiances et les styles. Aux beats lourds d'Oh Boy! et de 24, la ballade High réplique en se déposant sur des accords de guitare acoustique; à 2gether, clin d'oeil R&B au début des années 2000, André rétorque avec une bombe aux textures électro qui n'a rien à envier à Run The Jewels. «VNCE faisait des petites expériences pendant nos chalets de création : il partait un beat et surveillait nos réactions. On était comme des rats de laboratoire, on réagissait instantanément. C'est vraiment un très fin maestro», relate Ogee Rodman.

«C'est un leader silencieux, mais surprenant, jamais cliché, et avec une sensibilité incroyable», s'enthousiasme 20Some.

Avec DEAD., le groupe nourrit ni plus ni moins l'ambition que d'affirmer, voire de confirmer son statut de «meilleur groupe de rap à avoir existé au Québec». Et ce, en dépit de la présence de vedettes établies, ne serait-ce que Loud ou Alaclair Ensemble, chouchous du public et de la critique. «On est des pionniers de la game au Québec, estime Joe Rocca. Quand on a commencé, il n'y avait pas de chroniques rap dans tous les médias. Les autres rappeurs nous montraient du doigt parce qu'on avait signé avec un label. Maintenant, tout le monde veut le faire.»

«On est allés expliquer c'est quoi, le rap, on a bâti notre business, on aide des jeunes qui n'ont pas de studio d'enregistrement», énumère le MC. Avant de conclure, sans appel: «Le plus gros comeback de 2019, c'est nous.»

DEAD.? Oui. Morts? Non.

Dead Obies amorcera la tournée DEAD. le 28 février. Le groupe s'arrêtera à Québec le 1er mars et à Montréal le 26 avril. Le rappeur Jeune Loup assurera la première partie de la quinzaine de spectacles à l'horaire.

Image fournie par bonsound

DEAD., de Dead Obies