Quinze ans après la parution de No Pads, No Helmets... Just Balls, Simple Plan vient d'entreprendre une tournée en hommage à l'album qui l'a mis au monde. Malgré les épreuves des derniers temps, dont la dépression d'un des leurs, les gars poursuivent leur route, sans baisser les bras ni échafauder de plan B.

9 h: l'heure des réunions d'affaires, l'heure des comptables, des notaires, des avocats, mais certainement pas l'heure des musiciens qui carburent au rock'n'roll, à la déferlante des décibels et aux nuits folles. Pourtant, c'est bel et bien à cette heure-là que Chuck Comeau et Jeff Stinco, respectivement batteur et guitariste du groupe Simple Plan, m'ont donné rendez-vous. C'était la semaine passée, à la veille de leur départ pour une tournée qui les mènera de Grand Rapids, au Michigan, jusqu'à Cozumel, au Mexique, en passant par le Texas, l'Ohio, Vegas, Montréal (le 18 septembre au Métropolis), Québec (le 19 au Capitole), l'Ouest canadien et le Japon.

Cette tournée un peu spéciale, conçue pour les fans de la première heure, célèbre les 15 ans de No Pads, No Helmets... Just Balls, album emblématique du son et de l'esprit Simple Plan qui s'est écoulé à plus de 4 millions d'exemplaires et a propulsé Simple Plan au sommet des palmarès et dans les coeurs des ados de 2002.

À l'époque, les cinq membres de Simple Plan, des francos issus du West Island montréalais et du collège Beaubois, avaient 25 ans. Ils étaient jeunes, libres, insouciants et... célibataires. Ils ont maintenant 40 ans, des REER, des placements, des femmes et des enfants. Tous sauf David Desrosiers, le bassiste célibataire du groupe, qui s'est retiré des deux dernières tournées en raison d'une dépression qu'il tente tant bien que mal de soigner.

En ce petit matin de la mi-août, je retrouve les deux piliers: Chuck, considéré comme le stratège du groupe, celui qui a fait un an de droit à McGill et dont le père est avocat, et Jeff, le guitariste, mais aussi le restaurateur, toujours proprio du Mangiafoco, dans le Vieux-Montréal, mais plus du Laurea, qui a été de son propre aveu «un mauvais mariage et un encore pire divorce».

La veille de notre entretien, sur le plateau des Échangistes, j'avais été étonnée d'apprendre qu'en 18 ans de carrière, Simple Plan n'avait vendu que 10 millions d'albums. Oui, je sais, pour le marché québécois, c'est énorme, spectaculaire et... carrément impossible. Mais pour un marché couvrant l'Amérique du Nord, l'Europe et l'Asie, c'est modeste. À titre comparatif, U2 a vendu environ 170 millions d'albums en carrière et Céline Dion, plus de 200 millions. Quant à Black Eyed Peas et Linkin Park, qui ont commencé en même temps que Simple Plan et qui ont souvent tourné avec eux, leurs ventes totales sont d'environ 75 millions.

Jeff Stinco me répond le premier: «Nos ventes portent sur les deux premiers albums. Depuis, l'industrie a complètement changé. Les ventes physiques n'existent pratiquement plus. Pas juste pour nous. Pour tout le monde. Nos chiffres, maintenant, c'est sur Spotify qu'on les fait.»

Chuck opte pour la candeur et la lucidité.

«On ne se contera pas d'histoires: on n'est pas Metallica ni U2. On n'appartient pas au 1 % d'artistes qui gagnent plus que les 99 % de la classe moyenne des bands. Si je peux me permettre une analogie avec le hockey: on ne sera jamais Sidney Crosby, mais on joue dans la Ligue nationale et on gagne bien notre vie. Et bien franchement, même si Simple Plan n'a jamais fait le cover de Rolling Stone, je n'ai pas honte de nos ventes de 10 millions. Je ne suis pas déçu non plus.»

«On a fait ce qu'on voulait. On n'a peut-être pas accompli tout ce dont on rêvait, mais on ne lâche pas. Qui sait ce que demain nous réserve?»

Le groupe est encore en demande dans plusieurs marchés, mais, si la tendance se maintient, son avenir pourrait être moins rose que son passé. Ajoutez à cela des pépins à l'intérieur même de la formation. En novembre dernier, le groupe a dû annuler 10 concerts à cause des problèmes de cordes vocales du chanteur Pierre Bouvier. Le problème serait réglé sans que Bouvier ait eu besoin d'être opéré. «C'est quelque chose qui arrive à bien des chanteurs, y compris Adele. C'est pourquoi on a pris une pause préventive de trois semaines pour que Pierre se repose. Depuis, tout va bien», affirme Chuck.

Le cas de David Desrosiers est plus problématique. Pour l'instant, personne ne le remplace sur scène. Ses pistes de basse sont diffusées pendant les concerts, une pratique courante. «En 2002, ça aurait peut-être été mal vu, mais aujourd'hui, la vaste majorité des groupes ont recours en show à des pistes enregistrées. C'est aussi une façon de garder David avec nous et de ne pas tout chambouler», explique Jeff. 

Chuck, pour sa part, raconte que David a toujours été différent des autres. «David, c'est une rock star et un personnage complexe. C'est aussi le seul célibataire du groupe. Il n'a pas les mêmes priorités ni les mêmes responsabilités que nous. À cause de nos familles, on a tendance à organiser nos tournées de manière à ce que les shows soient condensés afin de pouvoir revenir plus vite chez nous. David, lui, aimerait avoir plus de temps, plus de congés. Il a des goûts de rock star et nous, de cols bleus. Il s'est marginalisé au sein du groupe et on comprend que c'est difficile pour lui.»

Le groupe est-il à un tournant critique de sa carrière? Jeff et Chuck ne semblent pas le penser. Ils racontent avoir vécu des creux bien pires en 18 ans de carrière, tout en gardant les pieds sur terre. Jeff rappelle que lorsque Simple Plan est arrivé dans le paysage en 1999, les excès étaient moins valorisés que la débrouillardise et le sens des affaires des musiciens.

«On faisait peut-être la fête, mais on n'a jamais raté un vol ou un show. Et surtout, on a vite compris que personne ne s'occuperait mieux de nous que nous-mêmes», affirme Jeff Stinco.

Question un peu baveuse: au départ, le plan était simple, mais maintenant que le temps a fait son oeuvre, Simple Plan a-t-il un plan B?

Jeff et Chuck sourient: un sourire à la fois ironique et combatif, m'indiquant que ce n'est pas demain la veille qu'ils vont prendre leur retraite. «Ce qu'on a appris avec le temps dans ce métier, c'est que t'es aussi bon que ton dernier hit. Bref, même si on n'est pas à notre peak, on est encore là. On a encore notre place dans l'industrie et une chanson, une seule, pourrait encore changer notre vie.»

C'est la fin de l'entrevue. Demain, Jeff, Chuck et le reste du groupe reprendront la route en laissant leurs femmes et leurs enfants derrière, moins libres qu'avant, mais heureux d'avoir des fans qui les attendent et que la musique soit encore leur gagne-pain, sinon toute leur vie.