Son nouvel album, En vérité, qui paraîtra le 19 mai, Isabelle Boulay le préparait depuis des années, mais elle est convaincue qu'elle n'éprouverait pas le même sentiment d'accomplissement si elle n'avait pas «dévié de [sa] trajectoire» pour consacrer un disque au répertoire de Serge Reggiani en 2014.

«Quand j'ai fait la tournée Reggiani, je me suis rendu compte que c'était la première fois de ma vie que je chantais aussi pour moi, pour atténuer mon chagrin», nous a dit la chanteuse dans sa suite d'un hôtel du Vieux-Montréal, la semaine dernière. «Je ne voulais pas traîner ma peine, je me refuse toujours ça. Quand tu commences à travailler sur un album original, il faut que tu sois distanciée de tes propres turbulences.»

Parmi ces turbulences, il y a eu la perte d'un ami très cher, sur lequel elle pouvait prendre appui et qui était sans complaisance à son égard, confie-t-elle. «C'était quelqu'un que j'aimais vraiment beaucoup parce qu'il portait sur moi un regard hyper lucide. Mais j'ai moi-même sur moi un regard lucide.»

Une femme lucide qui s'emporte quand elle lit sur un site français un texte qui associe gratuitement le vidéoclip en noir et blanc de la chanson Un souvenir, que lui a donnée La Grande Sophie, à sa rupture avec le père de son fils.

«J'en ai vraiment marre d'être perçue comme quelqu'un qui est toujours sur le bord de la dépression, lance-t-elle. Je suis une fille combative, un être humain normal, et ça m'insupporte de voir que des gens collent des choses et essaient d'interpréter ma réalité. Moi, je ne suis tellement pas people, je ne parle jamais de mes affaires en public, je peux vous dire "oui, j'ai vécu ça", mais je ne vais pas dire comment je l'ai vécu. Les chansons sont parfois près de nous, mais pas si autobiographiques que ça. Mon travail, c'est de chanter pour les autres, pas d'aller me répandre.»

L'étrange alchimie

Il y a pourtant, reconnaît-elle, une étrange alchimie entre elle et ceux qui lui écrivent des chansons. Et pas uniquement ses complices de toujours comme Benjamin Biolay, le réalisateur et architecte musical de l'album, à l'exception de deux chansons de Raphaël, ou encore Didier Golemanas - elle savait, dès qu'elle l'a reçue il y a quatre ans, que sa chanson En vérité donnerait son titre à l'album.

Golemanas, précise-t-elle, est le seul à qui elle a fait une commande précise: une chanson de route de femme (La route avec lui), à la Jackson Browne ou à la Bruce Springsteen.

«Pour le reste, c'est assez curieux, mais je pense que les auteurs qui ont envie d'écrire pour un interprète, c'est presque un art divinatoire. Ils perçoivent quelque chose...»

Ainsi, elle ne se doutait pas que Béatrice Martin, à qui elle avait commandé une chanson, lui pondrait une Nashville country loin de l'univers de Coeur de pirate. Elle ne s'attendait pas non plus à ce qu'Alex Nevsky lui propose sans sollicitation aucune une chanson de son cru: Le train d'après.

«Alex était le mentor [des candidats] de Marc Dupré à La voix et je me souviens d'avoir parlé de ma jeunesse et d'avoir dit que je ne savais pas ce que ma vie aurait été si j'avais pris une autre direction, si j'avais fait un autre choix. J'imagine qu'il a dû partir de ça, mais c'est tellement bien écrit, bien mené.»

Par contre, elle rêvait depuis longtemps d'une chanson signée Carla Bruni, écrite avec Julien Clerc. Un garçon triste, servie piano-voix, est sans doute la chanson française la plus classique du disque, celle que, dans le livret, la chanteuse dédie à son amoureux français Éric Dupond-Moretti.

«La plupart des garçons qui m'attirent sont souvent des garçons tristes. Ce que j'aime chez les êtres humains, c'est comment ils répondent à la tristesse. Moi, j'y ai répondu en chantant. Le puits de la tristesse est le même que celui de la joie.»

La responsabilité de l'interprète

En vérité, explique Isabelle Boulay, c'est «l'acceptation de soi et la projection dans l'avenir, la possibilité de rêver encore, d'aimer encore». Un thème auquel s'accordent les photos sans fard de la pochette qu'a prises le Suédois Peter Lindbergh, dont elle a toujours admiré le travail.

Chanter, c'est participer au monde, croit-elle. On peut chanter l'amour, mais on peut également chanter la réalité des ouvriers dans Les mains d'or, une chanson de Lavilliers vieille de 15 ans mais qui est encore d'une troublante actualité.

Mais le métier d'interprète comporte sa part de responsabilité. Quand on sent qu'on n'apporte rien à une chanson, vaut mieux la mettre de côté, quitte à réessayer des années plus tard, comme l'ont fait Isabelle Boulay et Benjamin Biolay avec Won't Catch Me Cryin', empruntée à Rob Thomas, qui l'a chantée en duo avec Willie Nelson.

«Faut que tu aies quelque chose à offrir au monde, faut pas que tu chantes juste pour toi, explique-t-elle. Quand j'avais 6, 7 ou 8 ans, je regardais les gens qui venaient me voir chanter et je voyais un sourire apparaître, comme une atténuation momentanée de la détresse. Quand je chante, je veux juste mettre une main dans le dos de quelqu'un, lui faire un câlin. Pour moi, chanter, c'est aimer les autres.»

Les phénomènes de La voix

C'est cette dimension humaine qui l'a incitée à participer à La voix, assure-t-elle.

«Je me retrouve toujours dans mon équipe avec des phénomènes un peu particuliers. Mes deux demi-finalistes [Frank Williams et Louis-Paul Gauvreau], c'est deux garçons sur lesquels j'ai été la seule à me retourner. Moi, j'entends quelque chose dans la voix qui n'est pas encore audible pour tout le monde, quelque chose qui a souvent à voir avec l'humanité. [...] Louis-Paul Gauvreau disait dans une entrevue qu'il trouvait la vie assez plate, mais qu'il s'est mis à l'aimer quand il a entendu du death métal. Ça lui a donné une colonne vertébrale, le courage de se lever, d'avancer et de s'investir là-dedans. En fait, c'est ça qu'on sent [dans sa voix].»

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CHANSON. En vérité. Isabelle Boulay. Audiogram/Sony Music. En magasin le 19 mai.

Image fournie par Audiogram

En vérité, d'Isabelle Boulay