Blade Runner. Une virée dans les studios Capitol, à Hollywood. Et la venue d'un nouveau guitariste, Joe Grass. De quoi orienter et inspirer la création d'un album, le cinquième de Patrick Watson, Love Songs for Robots. Ses musiciens et lui se sont même prêtés à l'exercice de décortiquer chacune de leurs 10 nouvelles chansons. Fort révélateur.

Explorations électroniques

Alors que l'atmosphère de l'album Adventures In Your Own Backyard tenait à son esprit de création intimiste à Montréal, Patrick Watson, Robbie Kuster, Mishka Stein et le nouveau venu Joe Grass ont mis le cap sur Los Angeles pour Love Songs for Robots, en magasin aujourd'hui. Ils ont enregistré du matériel dans les mythiques studios Capitol, situés à Hollywood.

«Le micro de Frank Sinatra», lance Watson. «Le piano de Nat King Cole», ajoute Joe Grass. «Chanter devant la photo de Judy Garland.» Et pour ajouter à l'expérience, les musiciens montréalais ont croisé Brian Wilson, le génie instable des Beach Boys.

Parlant d'Hollywood, c'est la science-fiction qui a inspiré le cinquième album de Watson.

«C'est une de mes passions. La science-fiction n'a rien à voir avec la technologie. Elle nous pousse plutôt à réfléchir sur le propre des humains et la façon dont ils réagissent à la technologie», affirme Patrick Watson.

Plusieurs fois au cours de l'entrevue, tandis qu'il détaille chaque chanson de Love Songs for Robots, Watson cite le mythique film Blade Runner, réalisé par Ridley Scott, dont le compositeur Vangelis a enregistré la bande originale du film aux studios Capitol. «Un film super touchant et organique.»

Chose rarissime, c'est très tôt dans la genèse de l'album que Patrick Watson a eu en main la pochette conçue par Clyde Henry Productions à partir d'un design graphique de Tarik Mikou. On y voit un robot dont la tête est une ampoule électrique et dont le corps est constitué de plumes rouges. «Je voulais le bon visuel. Et le visuel a inspiré les musiques et les paroles des chansons, raconte-t-il. On s'est mis à jaser des robots...»

«C'est beau de voir comment tu laisses partir au vent des idées et des images qui inspirent et influencent ta création», observe Joe Grass.

Un nouveau membre

Joe Grass est le nouveau membre en règle du groupe, en remplacement de Simon Angell, qui se consacre à son groupe Thus Owls.

Cela explique «le nouveau son» qui émane de Love Songs for Robots, souligne le bassiste Mishka Stein, qui accompagne Watson depuis ses débuts, tout comme le batteur Robbie Kuster.

«On a échangé Gallagher pour Pacioretty», lance Watson en riant, alors que le Canadien doit affronter les Sénateurs en soirée.

«C'est une dynamique assez différente. Simon faisait un peu le bordel dans les chansons alors que Joe se fond dans les chansons et groove. C'est un joueur mélodique. Sur une chanson comme Know That You Know, la guitare suit vraiment la voix, donc le résultat est plus harmonique», explique Patrick Watson.

La structure des chansons «est plus simple», ajoute Robbie Kuster. «Il y a plus d'espace et ça groove

«Si la chanson fonctionnait sur un dictaphone d'iPhone, elle allait passer le test en studio», ajoute Watson, qui n'a jamais autant multiplié les spectacles improvisés dans des lofts et les séances de préproduction pour tester ses nouvelles compositions.

Au chapitre de l'instrumentation, l'auteur-compositeur avait soif d'«explorations électroniques», tout en insistant pour que le spectacle demeure «organique» et «chaleureux». Lors des deux spectacles donnés il y a deux semaines au Théâtre Fairmount, on a souvent vu Watson debout au micro, et non assis derrière son piano. «C'est arrivé comme cela que les chansons n'aient pas eu besoin d'autant de piano.»

Patrick Watson considère Love Songs for Robots comme un album hétéroclite. «Un vinyle avec une face A et une face B, dit-il. Les cinq premières chansons s'écoutent le matin et les autres, le soir.»

Par et pour Montréal

Pendant ses bains de foule au Théâtre Fairmount, Watson a tenu à dire aux spectateurs à quel point la vie montréalaise lui plaît. Sur scène avec lui se trouvaient Mathieu Charbonneau (The Luyas, Avec pas d'casque), Erika Angell (Thus Owls) et Marie-Pierre Arthur, dont l'amoureux François Lafontaine signe des arrangements de claviers sur Love Songs for Robots.

Un disque de Patrick Watson est un disque de «famille» habité par l'esprit de Montréal. Par la force des choses, «la musique traduit ce qui est autour de moi», dit Watson, qui nous a accueillis dans son studio sur la Main.

«Nous sommes une communauté très proche. Entre les Barr Brothers, Marie-Pierre [Arthur], Plants and Animals et nous autres, tout le monde joue avec tout le monde, donc c'est inévitable qu'on s'influence, dit Robbie Kuster. Et quand quelqu'un sort un nouvel album, tout le monde en est fier et en bénéficie.»

Dix chansons racontées

Patrick Watson, Robbie Kuster, Joe Grass et Mishka Stein racontent la genèse des 10 chansons de Love Songs for Robots.

LOVE SONGS FOR ROBOTS

«Je dormais sur mon divan avec mon OP-1 [un synthétiseur-contrôleur portable]. J'ai pianoté cette drôle d'introduction et je me suis endormi», raconte Watson. Le lendemain, il s'est réjoui des effets numériques enneigés enregistrés pendant la nuit. C'est là qu'a jailli l'étincelle du thème de la science-fiction pour l'album. «Pour la plupart de mes chansons, je vois des films avant d'écrire des mots. J'ai vu un robot qui avait une dépendance à la drogue et qui déposait par terre les pièces de son cerveau pour remettre seulement celles qu'il voulait. Quelqu'un qui refait sa vie», raconte Watson.

GOOD MORNING MR. WOLF

«Celle-là, on l'a beaucoup travaillée. On a exploré toutes les possibilités», lance Joe Grass. Robbie Kuster n'a jamais supprimé le message téléphonique que Watson lui a laissé un jour avec un passage mélodique vocal qui allait devenir Good Morning Mr. Wolf. Un titre implicitement dédié à Jean Leloup et aux gens, comme lui, dont le cerveau va à 100 milles à l'heure. «Il est un gars inspirant.»

BOLLYWOOD

Watson et sa bande aiment la musique de Bollywood et aimeraient la maîtriser. «Mishka et moi avions cette ligne de basse en tête. Notre première maquette était un rip-off de Bollywood et nous avons passé deux jours dans le bois à essayer de jammer là-dessus. C'est devenu une chanson sensuelle.» 

HEARTS

Ce titre vient de Mishka Stein qui a enregistré une maquette à l'Hotel2Tango. «J'explorais la guitare et je tentais de voir à quel point je pouvais jouer vite», relate le bassiste de métier. Ajoutez à cela son bébé à naître et le petit garçon qu'attendait Robbie Kuster, et vous avez l'inspiration de la chanson Hearts. D'où la chute qui dit «what will they leave behind?» («qu'est-ce qu'ils vont laisser derrière eux?»), bien que le reste du texte écrit par Watson se rapporte à la mécanique d'une histoire amoureuse.

GRACE

«Je n'aurais jamais pu écrire cela», dit Watson. «C'est l'une des premières expériences de ma vie où trois petits bouts de musique sont mis ensemble», ajoute Mishka. Ce dernier avait en tête le son «bowiesque» issu d'une nouvelle basse, alors que Joe Grass avait une progression d'accords de guitare et que Watson avait un souffle inspiré d'Elton John. Voilà les trois ingrédients qui composent la recette de Grace. Quant aux paroles, c'est la fusion de deux textes: l'un portant sur une escorte et l'autre sur une femme dont le charme fait la beauté.

IN CIRCLES

In Circles est essentiellement instrumentale et interpelle beaucoup les sens. «C'est une maquette que nous avons finalisée», explique Watson. Un titre qui évoque pour lui la science-fiction, mais qui a aussi une dimension très érotique. «Pour moi, l'érotisme n'a rien à voir avec la peau. C'est sensuel. C'est ma version musicale à la Blade Runner de l'érotisme.»

TURN INTO THE NOISE

«Je l'ai écrite au départ pour The Walking Dead, il y a deux ans», indique Watson, dont la chanson Noisy Sunday a fait partie de la troisième saison de la série télé. «Je voulais recréer la touche cowboy du Midwest en revenant aux débuts du blues de Blind Willie Johnson, qui tend vers le folk et qui se mélange à du R&B.» En fin de compte, Turn Into the Noise (qui se retrouve sur une bande-annonce de la saison 5) a évolué lors d'un jam aux studios Capitol de Los Angeles. 

ALONE IN THIS WORLD

Joe Grass avait cet air country entre les oreilles. Il a fait part de son idée mélodique aux autres. «Nous avons commencé à discuter de perte de mémoire et de démence», dit le guitariste. «J'aime le texte final, poursuit Watson. Un homme qui se trouve dans une maison qui n'est pas la sienne. Je ne suis pas un si bon parolier, mais je suis content de la chute avec un punch

KNOW THAT YOU KNOW

L'inspiration de Know That You Know vient d'une visite au Museum of Jurassic Technology, à Los Angeles. «Le musée le plus bizarre du monde», s'exclame Watson. On y présente ce qui était considéré comme de la science exacte à travers les époques, dont un remède pour les coeurs brisés. Le sujet de la chanson Know That You Know est de «lâcher prise face au monde fou qui nous entoure». «La musique est née dans un jam que nous avons fait dans un petit show à Los Angeles», précise Robbie Kuster. Watson recommande d'écouter ce titre à part de l'album.

PLACES YOU WILL GO

De loin la pièce qui a donné le plus de fil à retordre au quatuor. Sa bête noire. C'est la toute première du nouvel album, née dans le plus grand enthousiasme à la fin de la tournée d'Adventures in Your Own Backyard, mais c'est la dernière à laquelle le quatuor a réussi à mettre un point final après plusieurs essais et erreurs. Le titre, Places You Will Go, est celui d'un livre que Watson a lu à ses enfants. Les paroles sont «une sorte de guide de vie pour mes enfants», explique le musicien.