Mannequin et comédienne, fille de la chanteuse et actrice Jane Birkin et du réalisateur Jacques Doillon, Lou Doillon avait le goût d'écrire et de chanter, mais jamais elle n'aurait cru que le folk anglophone de son premier album, Places, la mènerait si loin.

«Si je m'y attendais? Jamais de la vie!», lance en riant la chanteuse de 31 ans au bout du fil au sujet de l'album qui lui a permis de décrocher, il y a quelques mois, le prix Victoire de l'artiste féminine de l'année.

Il faut dire que sa compagnie de disques, Barclay, a eu le culot de présenter Places dans la catégorie de l'interprète féminine de l'année plutôt que dans celle de la révélation de l'année, du jamais-vu pour un premier album.

«C'était aussi la première fois qu'on présentait un album en anglais dans cette catégorie et, en plus, j'affrontais de grosses pointures: Françoise Hardy et Céline Dion. J'étais sûre et certaine de ne rien gagner!», confie celle qui a toutefois eu l'heureuse surprise d'être la lauréate choisie par le jury.

Même si elle signe les paroles et la musique de ses chansons, Lou Doillon avoue cependant devoir une fière chandelle au chanteur Étienne Daho, qui l'a convaincue d'endisquer ses compositions en plus d'avoir produit, réalisé et arrangé son album.

«Le pire dans tout ça, c'est qu'il y a quelques années, je ne connaissais à peu près rien de la pop française, je ne pouvais te citer aucune chanson d'Étienne, à part If, la pièce qu'il avait enregistrée avec ma demi-soeur Charlotte Gainsbourg. C'était un ami de la famille, alors je l'avais croisé dans quelques anniversaires, mais je ne lui avais jamais parlé», souligne-t-elle.

Le déclic s'est fait aux Fêtes il y a trois ans, une soirée où Lou Doillon broyait du noir et où l'auteur de Tombé pour la France et Bleu comme toi s'est enfin décidé à aller lui parler. «Il a dit que ma mère lui avait dit que je faisais de la musique et m'a demandé de lui donner un CD, mais je n'avais jamais fait de démo. On s'est donné rendez-vous, je suis allée chez lui avec ma guitare et j'ai joué des morceaux à la chaîne en buvant beaucoup de vodka!»

Au dire de la chanteuse, Daho est carrément tombé amoureux de ses compositions. «Il m'a dit d'au moins les enregistrer pour lui, car il avait besoin de ces chansons», poursuit-elle.

Sur la liste noire

La partie n'était toutefois pas encore gagnée, puisque, loin de l'aider, la carrière et les ramifications familiales de Lou lui nuisaient quand est venu le temps de dénicher une maison de disques. Plusieurs avaient connu des échecs retentissants en signant d'ex-mannequins qui tentaient de se recycler comme chanteuses.

«Je me souviens d'une compagnie de disques qui avait une liste noire du type d'artistes «à ne pas signer», qui incluait les ex-mannequins, les ex-comédiennes, les «filles ou fils de» et les chanteuses folk. Ça allait mal, car j'avais tout ça!»

Barclay a toutefois accepté de donner une chance à Lou Doillon en lui faisant signer un contrat pour trois albums. «On a fait l'album avec un très petit budget, personne n'était sûr, mais je suis tellement reconnaissante qu'ils aient cru en moi.»

Une «famille de cinglés»

Avec la chanteuse et actrice Jane Birkin comme mère, le réalisateur Jacques Doillon comme père, et comme beaux-pères Serge Gainsbourg et le compositeur britannique John Barry, on peut dire que la famille de Lou Doillon était tout sauf traditionnelle.

«C'est vraiment une famille de cinglés, c'était le gros bordel chez moi!, raconte la chanteuse en riant. Mais j'ai eu la chance d'avoir comme parents des gens qui faisaient ce qu'ils aimaient depuis 40 ans et qui étaient presque tristes de rentrer à la maison tellement ils aimaient leur boulot.»

«J'avais une mère, deux beaux-pères, un père qui avait des maîtresses et quatre demi-soeurs. On peut dire que j'ai été élevée par des parents qui, s'ils n'étaient pas à proprement dire libertins, étaient assurément libertaires. Tu sais, on servait des verres à nos parents quand on avait 3 ans. C'est fantastique quand on arrive à survivre à tant de folie!», lance-t-elle.

Aujourd'hui, elle continue d'entretenir d'excellentes relations avec ses demi-soeurs Charlotte Gainsbourg, Kate Barry, Lola et Lili Doillon. «Comme nous n'avons qu'un parent en commun, nous avons la chance d'être à la fois toutes pareilles et singulièrement différentes», confie-t-elle.

Règle d'or

Cette harmonie s'explique peut-être par le fait que la famille élargie de Lou Doillon continue d'appliquer la «règle» mise en place par sa grand-mère maternelle, la comédienne et chanteuse britannique Judy Campbell.

«Pour ne pas que ça finisse par peser trop lourd, ma grand-mère s'était mise d'accord avec le reste de sa famille pour ne jamais parler du travail à la maison», explique Lou Doillon. Quand les demi-soeurs se rencontrent, elles parlent donc de tout, sauf de leurs projets professionnels.

«Pour vous donner un exemple, quand mon album est sorti, Charlotte était en tournage et elle l'a acheté sur iTunes, car je ne lui avais jamais fait écouter avant. On me demande aussi souvent si j'ai vu tel ou tel film dans lequel joue ma soeur et, parfois, je ne suis même pas au courant», avoue-t-elle.

En anglais pour les secrets

Si Lou Doillon a lancé son premier album dans la langue de Paul McCartney plutôt que dans celle de Johnny Hallyday, même si elle parle couramment les deux, c'est d'abord parce que l'anglais était la langue que la chanteuse française parlait avec sa mère britannique, Jane Birkin.

«Comme ma mère était très connue en France et que les Français sont nuls en langues étrangères, l'anglais était devenu notre «langue secrète». C'était aussi la langue de mon journal intime, confie la chanteuse. Pendant longtemps, j'avais toujours une voix aiguë, comme une voix de petite fille, quand je parlais en français. En anglais, j'avais une voix plus grave et c'est la voix que je voulais pour cet album.»