Si Roland Giguère n'a pas la notoriété de Gaston Miron, son oeuvre est probablement aussi importante. En consacrant au poète et artiste visuel mort il y a 10 ans un disque puis un spectacle, présenté au Quat'Sous dans le cadre du Festival international de la littérature, Thomas Hellman fait un essentiel travail de mémoire.

Dans une ambiance feutrée, le chanteur franco-américain nous accueille un peu comme dans son salon: de vieilles lampes, des tables de chevet pour déposer les livres entourent les instruments - un piano, une contrebasse et plusieurs guitares. On le sait, on le sent, la soirée sera dense, mais chaleureuse.

Les poèmes de Roland Giguère, tous tirés du recueil L'âge de la parole, paru à l'Hexagone en 1965, sont la colonne vertébrale du spectacle. L'enrobage folk et dépouillé qui a été concocté par le musicien est un écrin parfait pour ces textes tout aussi désespérés que lumineux, d'une beauté fulgurante. Mais autour d'eux, Hellman chante aussi trois de ses propres pièces et même une chanson de Woody Guthrie (66 Highway Blues), d'ailleurs une des inspirations musicales de son projet.

Cette ambiance très roots, liée à de courts textes qui parlent de migration et d'exil - ceux d'Eduardo Galeano, Naomi Fontaine et Patrice Desbiens -, rendent ce spectacle profondément américain, profondément enraciné dans cette terre d'errance et de mythe. Les poèmes de Roland Giguère, puissants, évocateurs, s'y marient parfaitement, tels ces mots dans Les démunis: venir les mains vides/poitrine trouée/sans raison/et repartir sans plus de raison/les mains vides/poitrine trouée.

Multi-instrumentiste

Seul au micro, jouant du banjo, de la guitare, du ukulélé, de l'harmonica ou du piano, Thomas Hellman est appuyé avec discrétion et talent par le contrebassiste Sage Reynolds et le pianiste Olaf Gundel. Mais il faut beaucoup d'humilité, de talent et d'endurance pour tenir à bout de bras la parole de ce fantôme pendant 90 minutes - les 12 hommes rapaillés le faisaient avec Miron mais ils étaient, justement, plusieurs à se relayer sur scène!

Ce spectacle sobre, mis en scène par Brigitte Haentjens, est donc aussi un tour de force physique, qui demande un certain degré de concentration aux spectateurs. Lorsqu'à la fin, Thomas Hellman, manifestement vidé, remercie les auteurs dont il a été le porte-étendard, on comprend que l'amour des mots et de la littérature est l'unique moteur de ce spectacle qui, concept oblige, peut paraître un peu répétitif.

Mais grâce à lui, la parole de Roland Giguère, d'une modernité sidérante, se fait une petite place dans nos têtes pour ne plus en sortir. Essentiel et important, ce spectacle doit vivre encore longtemps.

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Thomas Hellman chante Roland Giguère, ce soir et demain au Quat'Sous.