Elle a l'air de rien, Bïa. Ses disques cultivent des atmosphères intimes, suaves, parfois sombres, empreintes de langueur et de sensualité.

Alors, forcément, on ne se l'imagine pas une seconde comme une chanteuse capable de se démener telle une diablesse, de rouler des hanches et de cabotiner au point d'exécuter quelques mouvements de gymnastique. Or, mardi, sur les planches du Club Soda, elle a prouvé qu'on n'avait tort de ne voir en elle qu'une fille tranquille.

Bïa a bien sûr amorcé la soirée en douceur, interprétant Venha seule à la guitare, laissant à son chant voilé la tâche de séduire l'auditoire. Charles Papasoff, à qui on doit les arrangements de bois et de cuivres entendus sur Nocturno, s'est joint à elle tout de suite après pour Personne, chanson bilingue qu'il a subtilement ornementée. Il n'a jamais été très loin derrière et a fait quelques tours au devant de la scène, le temps de solos judicieux à la clarinette, au saxophone baryton ou à la flûte traversière.

Ainsi, durant le premier quart d'heure, la chanteuse d'origine brésilienne s'est montrée à peu près telle qu'on la connaît sur disque. Mais le ton a changé avec l'arrivée du corps du groupe (Francis Covan à l'accordéon, Sacha Daoud à la batterie, Eric West-Millette à la basse) au moment de Caminhar et surtout de Foi A Flor, au rythme chaloupé pas très loin du reggae. Poussée par l'énergie déployée par ses musiciens, Bïa a vite fait de montrer une puissance vocale que ses disques laissent à peine soupçonner.

Elle a d'ailleurs joué de sa voix tout au long de la soirée, multipliant les arabesques, les montées et ou les notes ravalées pour mieux les faire résonner dans son ventre. Elle usait vraiment de sa voix comme s'il s'agissait d'un instrument à vent, alors que ses musiciens faisaient pleurer ou danser ses mots. Vu l'instrumentation particulière du groupe, on a senti plusieurs fois l'envie de challenger l'auditoire avec des arrangements inusités. On a même frisé la dissonance à quelques occasions, mais c'était fait avec mesure, dans le but d'enrichir l'univers, de colorer ce voyage au bout de la nuit, et non de dérouter.

Car le monde musical de Bïa est d'abord et avant tout d'une grande convivialité. S'il l'esthète y trouve son compte avec les aspects les plus cérébraux de sa musique, elle joue bien davantage avec les notes qui parlent au corps et au coeur. La chanteuse a d'ailleurs fait un touchant petit hommage à Henri Salvador à la fin de sa reprises, en portugais, de Jardin d'hiver, en chantant, en français cette fois: «J'aimerais entendre encore / la voix d'Henri Salvador / voir son sourire et puis me taire / dans mon jardin d'hiver».

Après une première partie axée sur les ambiances, le groupe a considérablement augmenté la cadence. Elle a reçu la visite de Paulo Ramos le temps d'interpréter Canto de Ossanha (Baden Powell) et Berimbau (Vinicius de Moraes). Elle a ensuite présenté un pot-pourri de chansons de fêtes populaires du nord-est du Brésil, où son phrasé évoquait la turlutte. On ne s'y trompait pas, entre deux couplets en portugais, elle a glissé un extrait de Ça va venir, faut pas s'décourager de La Bolduc!

On savait Bïa à cheval entre le Brésil, la France et le Québec, on la sait désormais aussi suave que fofolle, quand l'a vue courir et sauter en tous sens en chantant Mes zaricots, sa version toute personnelle du zydeco... Et ce n'est rien pour gâcher le plaisir qu'on a à la voir sur scène, au contraire.