Alexis Hauser avait fait un choix original pour le bicentenaire de la naissance de Franz Liszt: la rare Faust-Symphonie. Il l'a montée avec l'Orchestre symphonique des étudiants de McGill, dont il est l'infatigable titulaire, en y adjoignant la Sinfonietta, de création récente, pour former un énorme orchestre de 100 musiciens, et en revenant à la version définitive dans laquelle Liszt ajoute un bref épisode pour ténor et choeur d'hommes.

C'est la quatrième fois seulement que Montréal entend la Faust-Symphonie. Les trois auditions précédentes eurent lieu à l'OSM: en 1939, donc dans les toutes premières années de l'orchestre, sous la direction de Paul Stassevitch; en 1978, avec Decker; et en 1994, avec Dutoit, encore que Dutoit dut choisir la version sans les voix à cause d'une grève des choristes locaux!

Hauser donnait l'oeuvre jeudi soir et hier soir. Je l'ai entendue hier soir, en raison du concert de l'OSQ jeudi. L'exécution totalisait 80 minutes -sans entracte, bien sûr, car Liszt a établi là une continuité qu'on ne saurait rompre.

L'oeuvre est inspirée du drame de Goethe où le vieux Faust vend son âme au démon, Méphistophélès, en échange de biens terrestres symbolisés par la séduisante Marguerite. Liszt a élaboré sa partition en trois mouvements dont chacun correspond au caractère d'un des personnages et en porte le nom. Deux mouvements rapides faisant appel à toutes les ressources de l'orchestre représentent respectivement Faust et le démon et encadrent un mouvement plus délicat qui est, bien sûr, celui de Marguerite (appelée ici de son nom allemand, Gretchen).

Colossal maître d'oeuvre de l'opération qu'il avait entreprise, Alexis Hauser a signé là une autre magistrale réussite qui, encore une fois, suscite la question qu'il n'est pas politically correct de poser et que, pour cette raison, justement, j'ose poser: comment se fait-il que cet homme ne soit pas le chef de l'OSM?

Comme toujours, Hauser dirigeait par coeur. Il avait mémorisé cette partition très touffue et très complexe de plus de 300 pages et en assurait la réalisation auprès d'un orchestre d'étudiants sans réelle expérience du concert, alors que bien des chefs n'osent prendre un tel risque même avec un orchestre professionnel.

Il est clair que Hauser ne procède pas ainsi pour épater la galerie, mais tout simplement pour avoir les mains libres. Il sait exactement où se place chaque intervention importante dans le déroulement du discours et la souligne avec une énergie qui électrise à la fois les musiciens et les auditeurs.

Hauser nous a donné là un Liszt d'un extraordinaire souffle romantique: un premier mouvement haletant et rêveur, un deuxième d'une extrême délicatesse, un troisième moqueur et déchaîné, assorti d'orgue. L'orchestre tout entier et ses composantes sonnaient avec le maximum de puissance et de beauté sonore. Les raffinements du mouvement central découvrirent quelques légères imprécisions de jeu. Peu importe. Je retiens plutôt la force unifiée des sept contrebasses, la griserie des flûtes et des clarinettes jouant par deux, les solos angoissés du basson (même si la jeune soliste a ignoré quelques indications «perdendo» de fin de phrase).    

Le choeur de 70 hommes vêtus de noir fit son entrée au dernier mouvement et chanta quelques phrases à la toute fin, avec un ténor visiblement nerveux. Cette partie vocale est brève et n'ajoute rien à ce que l'orchestre vient de dire, sauf un aspect visuel assez saisissant.