L'histoire de Cendrillon est simplette à côté de celle de Tristan et Yseult ou de Roméo et Juliette. Le même qualificatif s'applique à la musique dont Massenet l'a enrubannée et au texte en rimes (!) de Henri Cain qui lui sert de base.

Autant on imagine le pensum que représenterait une réalisation traditionnelle, sans imagination et sans audace, de cette partition qui fait plus de deux heures et bien des longueurs, autant on applaudit l'éclatante réussite du tandem Renaud Doucet-André Barbe qui a complètement métamorphosé ce qui n'était à l'origine que petit sujet, petit livret et petite musique.

Doucet, pour la mise en scène et la chorégraphie, et Barbe, pour les décors et les costumes, ont pris énormément de libertés avec ce qu'ils avaient en mains et je serai le dernier à leur en faire le reproche. Je n'aime habituellement pas ces «relectures», mais, cette fois, une telle approche s'imposait, à tous les points de vue.

L'action est déplacée vers les années 50. La cuisine où l'on retient la pauvre Cendrillon n'a rien de triste: elle fait plutôt rire, avec son réfrigérateur démesuré et son mobilier Westinghouse rose. Au tableau suivant, une enseigne lumineuse qui se lit Le Palace décore le palais où Cendrillon sera conduite au bal par sa fée-marraine. On la retrouve ensuite avec son père Pandolfe dans leur coquet bungalow avec jardinet et flamants roses en plastique.

Les costumes sont extravagants et comiques, comme il se doit (certains sont lumineux, d'autres sont en forme de pâtisseries!), la seule exception étant, bien sûr, la simple petite robe noire de Cendrillon. La laborieuse entrée du Doyen de la faculté, écrasé sous sa toque grande comme un parapluie, est hilarante.

Déjà rodé en Europe, le mouvement scénique est très au point. Il est à peu près ininterrompu et plein de trouvailles: ainsi, les douze domestiques qui miment les répliques des protagonistes, comme dans un ballet, ou encore les scènes de mariages «historiques» comme celui de Grace Kelly et du prince Rainier. Nous voici donc au cinéma... et des figurants viennent dans la salle offrir du pop-corn aux spectateurs!

Contrastant au milieu du brouhaha, les scènes d'intimité ont toute l'intensité voulue: la rencontre silencieuse de Cendrillon et du Prince, les retrouvailles de Cendrillon et de son père.

De toute la distribution -- entièrement québécoise, fait à souligner --, l'interprète le plus remarquable est Gaétan Laperrière, en Pandolfe, père de Cendrillon et mari de l'irascible Madame de La Haltière. La voix est encore solide, malgré un aigu parfois incertain, et le personnage est très vrai: à la fois terrifié par son épouse et plein de bonté pour sa fille. Par-dessus tout, on admire chez Laperrière une expérience de la scène qui manque aux autres.

En Cendrillon, Julie Boulianne projette une bonne voix de mezzo et joue avec sincérité. Le mezzo de son aînée Noëlla Huet passe encore la rampe, mais le personnage est moins convaincant : je voudrais Madame de La Haltière plus terrible encore. Marianne Lambert chante la Fée avec la virtuosité et l'aigu d'une Reine de la nuit. C'est le timbre qui est agaçant. Les deux demi-soeurs de Cendrillon sont tellement comiques qu'on oublie de les écouter chanter! Frédéric Antoun fit annoncer qu'il était «indisposé». Ce n'était pas la peine. Il a quand même fait du beau travail.Les choeurs sont excellents.

Dans la fosse, Jean-Yves Ossonce et l'Orchestre Métropolitain ponctuent bien toutes les situations.

L'émissaire de la compagnie Bell venu au micro avant le spectacle a répété une grossière erreur. Oui, Cendrillon fut donné ici en 1912, mais il faut savoir que l'oeuvre a été montée depuis : en février 2002, par l'Atelier d'opéra de l'Université de Montréal.

 

«CENDRILLON», opéra en quatre actes, livret de Henri Cain d'après le conte de Charles Perrault, musique de Jules Massenet(1899). Production: Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Première hier soir. Autres représentations : 26, 29 et 31 mai et 3 juin, 20 h. Avec surtitres français et anglais.

Distribution (rôles principaux) :

Cendrillon: Julie Boulianne, mezzo-soprano

Madame de La Haltière, sa belle-mère: Noëlla Huet, mezzo-soprano

Noémie et Dorothée, ses demi-soeurs: Caroline Bleau, soprano, et Mireille Lebel, mezzo-soprano

Pandolfe, son père: Gaétan Laperrière, baryton

Le Prince charmant: Frédéric Antoun, ténor

La Fée: Marianne Lambert, soprano

 

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Mise en scène et chorégraphie: Renaud Doucet

Décors et costumes: André Barbe

Éclairages: Guy Simard

Choeur de l'Opéra de Montréal (dir. Claude Webster) et Orchestre Métropolitain

Direction musicale: Jean-Yves Ossonce