En 2018, s'affirmer lettré sur le territoire de l'électro-rock est-il un geste d'audace? Sculpter le verbe en cette ère où la langue châtiée déclenche tant d'agacement, est-ce une action d'éclat?

Posez la question à ces jeunes gens de Feu! Chatterton. Ils portent dans leurs chansons électro-rock un lyrisme littéraire qui peut sembler suspect, qui suscite la confusion entre raffinement singulier et maniérisme suranné. D'aucuns dénigrent et dénigreront cette approche liée à une chanson d'auteur en déclin, issue d'une époque apparemment révolue.

Vraiment?

À contre-courant, Feu! Chatterton choisit le pouvoir des lettres sans en rejeter les sons actuels, avec des résultats probants à la clé. Lancé à l'automne 2015, l'album Ici le jour (a tout enseveli) fut l'une des rarissimes productions hexagonales à conquérir une cohorte de la francophonie d'Amérique, assez considérable pour remplir des salles payantes, assez pour susciter un buzz véritable. Ça devrait se poursuivre avec L'oiseleur, opus de haute volée s'adressant aux fans de pop actuelle enclins à la littérature.

Créé par Arthur (chant et textes), Sébastien (guitares, claviers), Clément (guitares, claviers), Antoine (basse) et Raphaël (batterie), L'oiseleur fut d'abord esquissé dans un appartement du 11e arrondissement à Paris, après quoi le chanteur moustachu a ratissé des zones napolitaines et andalouses, question d'en imprégner son écriture. De retour au bercail, il a précisé les formes de L'oiseleur avec ses amis qu'il fréquente depuis le lycée, et voilà le travail.

«Je ne veux plus revoir tes yeux verts ailleurs que dans mes troubles rêveries... J'aimais ta peau dorée, toi qui me donnais tout de ta main délivrée... ah ne me réveillez pas trop tôt pour un instant de bel canto, le désespoir me mobilise... Et votre moue boudeuse fut comme un baiser, Sur mes lèvres frileuses mon coeur en pesait...»

Rêve, réveil, lucidité brutale, réalité des amours brisées, surréalisme, hyperréalisme, clarté, obscurité, flou, limpidité. Ces allers-retours aux extrémités sentimentales alimentent cette langue écrite pour être chantée.

À l'évidence, nous ne sommes pas ici dans le small talk du quotidien mis en rimes, nous sommes devant un accomplissement formel au service de la beauté. Bien sûr, certaines tartines sont beurrées trop épais, mais le dosage est généralement parfait.

Cela n'exclut en rien l'attitude rock, la quête électronique, le groove, les pieds qui battent la mesure binaire, la danse, l'enivrement, l'étourdissement.

Les 13 titres au programme varient entre la chanson minimaliste, les relents néo-psychédéliques, l'électro-rock, l'électro-pop ou carrément la techno, le tout enregistré sous la gouverne du réalisateur Samy Osta - Juniore, La Femme, etc.

Ces alternances entre chansons de guitare et chanson de machines, entre refrains soignés et ponts endiablés survolent cinq décennies de musique et un siècle de poésie française. Voilà une rare démonstration où la musique d'aujourd'hui et le texte gracieux s'amalgament sans jurer.

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CHANSON, AVANT-POP, ROCK, ÉLECTRO. L'oiseleur. Feu! Chatterton. Universal.