Déjà considérable, la discographie d'Ein Heldenleben de Richard Strauss offre la particularité de versions dirigées à la fois par le compositeur lui-même (Strauss grava l'oeuvre au moins trois fois : en 1926, 1941 et 1944) et par le chef, Willem Mengelberg, à qui il la dédia (dans ce cas, deux gravures: 1928, 1941).

Les grands chefs de notre époque ont tous, ou presque tous, confié au disque leur vision de ce vaste poème symphonique à caractère autobiographique dont le titre se traduit par Une vie de héros et non La vie d'un héros, le héros étant, bien sûr, Strauss lui-même.

Avec l'Orchestre Philhar­monique de Rotterdam dont il est le titulaire depuis 2008, Yannick Nézet-Séguin signe une interprétation où, cette fois encore, il rejoint les plus grands et confirme son génial talent. Ein Heldenleben couronnait le programme Strauss avec lequel Nézet-Séguin ouvrait sa 10e saison à l'Orchestre Métropolitain, le 14 septembre 2009, l'exercice lui servant en quelque sorte de répétition pour le présent enregistrement, réalisé en juin suivant.

L'oeuvre est constituée de six «tableaux» qui s'enchaînent et illustrent autant d'«expériences vécues de l'homme et de l'artiste Strauss», comme le dit si bien François-René Tranchefort. Nézet-Séguin amène ici son orchestre hollandais à se dépasser. Il faut entendre le sarcasme des bois décrivant les adversaires du héros, l'enjôleur et capricieux violon-solo incarnant sa compagne, les cuivres et les percussions scandant son combat comme une musique de film de guerre, l'orchestre tout entier engagé dans plusieurs événements en même temps puis s'amenuisant vers l'apaisement final.

Nézet-Séguin prend 47 minutes pour son Heldenleben, soit un peu plus que la moyenne. C'est qu'il s'attarde sur certains épisodes comme celui de la compagne du héros.

En complément de disque : les Vier letzte Lieder chantés par la soprano Dorothea Röschmann. La voix est radieuse, mais l'orchestre la submerge presque, ainsi que les paroles. En fait, l'émotion ici vient de l'orchestre. Et le Heldenleben vaut à lui seul tout le disque.