« J’ai toujours détesté choisir », lance John Taylor et Danse Macabre, nouvel album de Duran Duran où se côtoient les reprises punk et disco, en est la scintillante preuve. Conversation privilégiée avec le gentleman bassiste.

John Taylor, notre Duran Duran préféré, a souvent raconté comment son jeu doit autant à l’influence de Bernard Edwards, le bassiste du groupe disco Chic, qu’à celle de Paul Simonon, des pionniers du punk, The Clash.

Et Danse Macabre ne pourrait mieux témoigner de cet éclectisme, le seizième album de Duran Duran contenant à la fois des relectures de chansons du génie trop peu connu du disco français Cerrone, du fou furieux du funk Rick James, des icônes de la deuxième vague ska The Specials et d’une des plus influentes égéries du post-punk, Siouxsie and the Banshees.

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John Taylor

« Je me souviens d’avoir été dans un bar et d’avoir entendu une chanson des Sex Pistols sortir du jukebox, puis quelques minutes plus tard, une chanson de Chic, et de me m’être dit : “J’aime autant ces deux chansons !” », raconte John Taylor.

Le punk s’adressait à mon identité de garçon blanc de la banlieue, c’est la première musique qui m’a permis d’imaginer que je pourrais devenir moi-même musicien. Mais le r’n’b m’a toujours beaucoup parlé aussi. Je n’ai jamais compris le mouvement anti-disco.

John Taylor

Retrouver les amis

Présenté comme la trame sonore de la fête d’Halloween ultime, Danse Macabre a aussi quelque chose de la réunion de famille, Duran Duran ayant accueilli en studio son vieil ami Nile Rodgers, le cofondateur de Chic, qui a sauvé le groupe du naufrage en 1986 en réalisant son album Notorious, à une époque où les troupes duraniennes étaient décimées par d’innombrables querelles. Sa guitare distinctement cristalline se mêle à celle d’Andy Taylor sur Black Moonlight, une des trois chansons flambant neuves de ce disque.

Vous avez bien lu : Andy Taylor, le guitariste fondateur de Duran Duran, retrouve lui aussi ses amis, le temps de nouvelles versions de Nighboat (1981) et Secret Oktober 31st’, une face B de l’époque Seven and the Ragged Tiger (1983).

En novembre 2022, alors que Duran Duran était intronisé au Rock & Roll Hall of Fame, Taylor, 62 ans, a annoncé dans une lettre qu’il vivait depuis quatre ans avec un cancer métastatique de la prostate. Mais grâce à un nouveau traitement, le guitariste aurait récemment pris du mieux. Assez en tout cas pour que Simon Le Bon se rende chez lui, à Ibiza, afin d’enregistrer ses pistes. Warren Cuccurullo, l’autre guitariste historique de Duran Duran, est aussi de la partie.

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Duran Duran en novembre 2022 lors de son intronisation au Rock & Roll Hall of Fame

John Taylor lève les yeux au ciel en entendant le mot conflit, puis nous gratifie de son éternel sourire de beau gosse. C’est l’évidence : depuis leur retour au début des années 2000, ses collègues et lui ont choisi le groupe avant leur ego. La maladie d’un de leurs frères d’armes, même s’il ne figure plus dans l’alignement officiel de la formation depuis 2006, ne pouvait que mettre en lumière ce que leurs relations ont de rare et de précieux.

On en est à un stade où on sait qu’on fait tous ressortir le meilleur chez l’autre et quand il nous arrive de mettre la patience de l’autre à l’épreuve, on se rappelle que chaque petite dispute qui apparaît si importante aujourd’hui ne sera que rires dans un mois.

John Taylor

Le bassiste offre cette métaphore : « Tu commences quelque chose avec des gens que tu choisis parce que vous aimez la même musique, puis tu vieillis, tu deviens populaire et soudainement, tu ne sais plus comment te placer pour que tout le monde entre dans le cadre. Puis un jour, tu finis par comprendre que, oui, on peut tous prendre des portraits individuels, mais qu’il est important de savoir bien se placer pour la photo de groupe. »

Le luxe de la basse

Mais qu’est-ce qu’une bonne ligne de basse ? Celle de Psycho Killer vient assurément en tête, ce n’est pas pour rien si John Taylor a convié, pour la reprise qu’en signe son groupe, Victoria De Angelis, sa jeune et flamboyante homologue au sein des rockeurs italiens de Måneskin.

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John Taylor à New York en décembre 2022

De son côté de l’écran, John Taylor en chantonne quelques autres : celle de Good Times de Chic. Celle, mystérieuse, de Come Together des Beatles. Celle de Standing in the Shadows of Love des Four Tops, un des chefs-d’œuvre de James Jamerson, le responsable en résidence de la quatre cordes chez Motown.

La ligne de basse est le fil rouge d’une chanson. Elle apporte une lumière à la mélodie. Elle hypnotise, sans distraire.

John Taylor

« Mais les deux éléments essentiels d’une bonne chanson pop demeurent la voix et la caisse claire, ajoute-t-il, avec humilité. La basse est un luxe. Une bonne chanson peut se passer de basse, je m’en suis rendu compte la première fois que j’ai entendu When Doves Cry [de Prince]. J’avais presque peur que les bassistes perdent tous leur job. Mais ce que ça montrait, en réalité, c’est que ta place, en tant que bassiste, il faut que tu la mérites, chaque fois. »

Quant à leur reprise de Paint It Black, il ne s’agirait pas d’une manière détournée de rendre la monnaie de sa pièce à Keith Richards. En entrevue avec le magazine NME en 1998, le vieux pirate se remémorait l’étonnement de Duran Duran, lors d’une visite en studio en 1985, à voir les Stones tous enregistrer dans la même pièce, plutôt que piste par piste, comme c’est davantage coutume dans l’univers de la pop. « C’est la seule vraie manière d’enregistrer, espèce de petite merde morveuse [snotty little turd] », avait-il déclaré.

John Taylor éclate de rire. « Il nous a vraiment traités de snotty little turd ? » Apparemment. « J’adore. »

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