« Je pensais que ça allait durer deux semaines », dit Gilles Valiquette au sujet de… sa carrière ! Cinquante ans après la parution de ses deux premiers albums, il continue de dire bonjour, comme si c’était la dernière, à chaque nouvelle belle journée de musique.

Gilles Valiquette sort de la pochette élimée l’exemplaire vinyle de Chansons pour un café, son premier album de 1973. Le 33 tours – légué à votre journaliste par sa maman – accuse quelques signes d’usure. « Et c’est comme ça qu’aujourd’hui, j’apprends à quel point mes disques ont joué : c’est difficile d’en trouver un en excellent état », blague avec ce discret sourire qui est le sien l’auteur-compositeur de 71 ans.

De retour, Gilles Valiquette ? « Je ne parlerais pas d’un retour. La musique, j’ai ça dans le sang depuis longtemps », répond celui qui, chaque lundi de ses 14 ans, se pointait au dépanneur du coin avec les camarades de son premier groupe, les Rockin’Roopers, afin de tenter de convaincre le responsable du juke-box d’y mettre ce 45 tours-ci, plutôt que celui-là – 45 tours que les garçons pourraient écouter, et réécouter, et réécouter, toute la semaine durant, dans le but de l’ajouter à leur propre répertoire.

Le créateur de Quelle belle journée n’a jamais exactement quitté la scène – il a présenté au cours des dernières années des performances en trio avec deux choristes et chanté avec Lou-Adriane Cassidy, Thierry Larose et Ariane Roy, moment béni de l’historique spectacle de 2022 Le roy, la rose et le lou(p). Mais, ça se souligne, le vétéran revient aujourd’hui par la grande porte d’une tournée des salles de la province et d’une date à Coup de cœur francophone, le 10 novembre.

Quand on me croise et qu’on me dit “Gilles, on ne te voit plus”, je réponds toujours que ce n’est pas moi qui décide. Ce sont les réalisateurs de télé, ce sont les producteurs.

Gilles Valiquette

Il ajoutera plus tard : « Il y a parfois lieu de se demander comment on valorise le passé de notre chanson. »

« Tu devrais sortir ça ! »

Les anniversaires étant la nouvelle valeur refuge de l’industrie du disque et du spectacle, les célébrations des 50 ans de Chansons pour un café, premier album de Gilles Valiquette lancé en mars 1973, et réenregistré aujourd’hui à l’invitation du réalisateur Marc Pérusse, qui s’est fait la main en grattant du Valiquette dans les toilettes de son école secondaire.

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« Il y avait tellement de réverbération dans cet espace qu’on pouvait même se tromper d’accord dans Dis-lui bonjour sans que ça ne paraisse trop », écrit-il dans la superbe pochette de Retour à Chansons pour un café, sur lequel son idole de jeunesse revisite les 13 titres de ce disque qui ne devait pas en être un.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Les versions originale et nouvelle de Chansons pour un café

Fin 1972. Après avoir enregistré l’album Pas besoin de frapper pour entrer en tant que guitariste de Jacques Michel, Valiquette s’offre deux soirs de studio afin de pouvoir présenter des maquettes de ses refrains à d’autres interprètes. Épaté, le réalisateur et ancien Bel Canto René Letarte lui lance : « Tu devrais sortir ça ! »

Des trois maisons de disques qui lui soumettent des offres, le jeune musicien opte pour Trans-World/Zodiaque, parce que l’étiquette l’autorisera à conserver la propriété des bandes maîtresses, fait rare à l’époque. « J’en dois une bonne à Jacques Michel », se souvient Gilles. « À 19, 20 ans, je voyageais avec lui et j’ai eu sur les routes du Québec tout un master class sur les droits d’auteur, les contrats, tout ce que t’ignores quand t’as 20 ans et que tu signes les contrats les plus importants de ta vie. »

Période de transition

L’année 1973 marque de nombreuses transitions dans le monde la musique au Québec. En 1972, à l’âge de 19 ans, Gilles Valiquette joue de la guitare – en une seule prise ! – sur Le train du Nord, le premier 45 tours des Séguin, contraints comme tant d’artistes du temps d’amorcer leur parcours en puisant dans le répertoire d’un autre.

PHOTO ANTOINE DÉSILETS, ARCHIVES LA PRESSE

Gilles Valiquette en 1974

« Il a fallu qu’ils aient un succès commercial pour que la compagnie de disques songe à leur permettre de faire un album », raconte leur ancien accompagnateur, qui obtiendra pour sa part le rare privilège de mettre à feu sa carrière avec un album complet, « ce qui a l’air normal aujourd’hui, mais qui était impossible à l’époque ».

Marie-Claire et Richard Séguin, qui avaient prêté leurs voix à la version originale de Chansons pour un café, sont d’ailleurs de retour sur sa nouvelle version, aux côtés d’autres invités de marque, dont Jacques Michel, Monique Fauteux, François Pérusse, Normand Brathwaite, Louis Valiquette (son fils, du mythique groupe punk The Sainte Catherines) et Louis Valois (du mythique groupe prog Harmonium).

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Deux albums en deux ans

Après Chansons pour un café, qui avait beaucoup tourné sur les ondes jadis très libres des radios FM, la maison de disques de Gilles Valiquette lui laisse savoir qu’il est venu le temps d’un succès sur les ondes AM.

« Je ne veux pas me vanter », prévient celui qui aurait besoin de déployer beaucoup d’efforts pour apparaître imbu de lui-même, « mais à l’été 1972, sur le top 40 Radio-Mutuel CJMS, c’est moi qui jouais de la guitare sur la moitié des chansons. En jeune fanfaron, je leur ai dit : “M’a vous en faire un, un hit !” »

Ç’a donné quoi ? « Ç’a donné Je suis cool. » Pas pire.

Le jeune fanfaron n’était visiblement pas qu’un grand parleur : en plus de Je suis cool, La vie en rose figure également sur Deuxième arrêt, qui paraît aussi rapidement qu’en octobre 1973. « Je trouvais ça paresseux, à l’époque, de sortir juste un disque par année. »

Et l’avenir ? « J’ai encore l’impression que la gig que je suis en train de faire, c’est la dernière, qu’on va tirer la plogue. Quand j’ai commencé avec les Séguin, je pensais que ça allait durer deux semaines. Tout ce que j’espérais, c’était de pouvoir faire juste un autre spectacle. »

Retour à Chansons pour un café

Folk

Retour à Chansons pour un café

Gilles Valiquette

Les disques de la cordonnerie
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Histoire de guitare

PHOTO ANTOINE DÉSILETS, ARCHIVES LA PRESSE

Gilles Valiquette en 1973

Gilles Valiquette renoue aussi sur Retour à Chansons pour un café avec la guitare Norman grâce à laquelle il a enregistré l’album de 1973, mais cette fois-ci le temps d’une courte pièce seulement. C’est Robert Godin qui avait ramené la six-cordes d’un voyage de chasse à Mont-Laurier, où il avait rencontré Normand Boucher – Godin et Boucher fonderont ensemble les guitares Norman.

Une belle guitare en acajou, croyait Valiquette, qui l’utilisa beaucoup.

« Mais un jour, je vais à La Tosca [magasin d’instruments où travaillait Godin] avec ma guitare dont la peinture était toute écaillée et il me propose de la remettre belle. » Merci. « Le problème, c’est que lorsque je l’ai rapportée à la maison, elle ne sonnait plus pareil. Le vernis avait changé le son. »

Quand Valiquette demande à Godin de ramener la guitare à son état précédent, le monsieur n’a d’autre choix que de lui avouer que son instrument n’est pas fait en acajou, mais en retailles de bois plaqué, recyclées par M. Boucher à partir des restants d’armoires qu’il fabriquait.

Impossible donc d’enlever le nouveau vernis sans risquer de détruire la guitare. Son son d’origine, immaculé, ne demeurera qu’un souvenir, immortalisé sur plusieurs disques majeurs de la décennie 1970.