Dans Juste entre toi et moi, le journaliste Dominic Tardif s’entretient avec ses invités comme s’ils étaient seulement entre eux, sans micro. Anecdotes, réflexions, confidences : ces longues rencontres sont autant d’occasions de prendre congé de l’actualité et de s’imaginer que nous avons tout notre temps.

L’amour, c’est de l’ouvrage. Tous les genres d’amour. Lisa LeBlanc vous dirait que protéger le plaisir qui l’unit à la musique aura exigé certains efforts. La chanteuse raconte comment la joie que lui procure la scène a déjà failli s’éteindre sous le poids de trop d’obligations et de l’anxiété.

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À quoi aspire Lisa LeBlanc ? À quelque chose d’à la fois simple et pas si simple que ça à atteindre. « Moi, je veux juste avoir du fun », lance-t-elle au cours de cet entretien ponctué par son irrésistible rire, qui suffirait à redonner la bonne humeur au plus irrécupérable des bougons. « On est chanceux, on joue de la musique, on ne veut pas que ça feele comme de la job. »

Mais au moment où elle a pris la décision de s’accorder une année sabbatique, en 2019, la plus célèbre native de Rosaireville sentait tranquillement que la joie extatique dans laquelle l’immergeait la scène la désertait. Usure, fatigue, anxiété, agenda surchargé. À 32 ans, Lisa cumule déjà plus d’une douzaine d’années de carrière, trois albums et un EP, nombre de prix ainsi que deux épuisements professionnels.

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Lisa LeBlanc

« Mon pire cauchemar, ç’a toujours été d’être blasée, laisse-t-elle tomber. J’en ai vu, du monde blasé, en masse, et ce n’est pas ce qui m’inspire. Ce n’est pas le fun d’être autour du monde blasé. Je trouve ça vraiment triste, surtout en musique. »

Fêtes de village... et Normand

Surtout en musique, parce que sa guitare a toujours été pour elle comme un passeport vers un monde où plus rien ne pèse trop lourd. C’est un pur sourire de gamine qui se saisit soudainement de son visage lorsqu’elle se remémore les dimanches chez sa grand-mère quand, après la messe, les 15 frères et sœurs de son père, et leurs enfants, se réunissaient pour manger et chanter.

J’ai grandi dans le typique party de cuisine acadien. C’est une grande, grande, grande richesse. J’ai grandi dans quelque chose d’hyper spécial et de vraiment cool.

Lisa LeBlanc

Dans le film biographique que l’on tirera un jour de la vie de Lisa LeBlanc, une des premières scènes plantera son décor dans une fête au village. Chaque mercredi soir d’été, à Rosaireville, quiconque le souhaitait prenait le micro le temps d’un petit numéro.

À 13 ou 14 ans, l’adolescente demande au concierge de son école secondaire, Normand Arsenault, de l’accompagner à la six-cordes, pour quelques chansons. Normand lui propose ensuite de lui donner des cours, « parce que si tu t’accompagnes toute seule, tu serais that much plus indépendante », se souvient-elle. « Et dès le premier cours, je suis devenue obsédée ben raide et je faisais juste ça. Toutes les minutes que j’avais de libres dans ma journée, je jouais de la guitare. »

C’est à Normand, encore à ce jour chansonnier de fin de semaine, que Lisa pense lorsque « l’écœurantite » qui guette tout musicien professionnel menace de l’avaler. « Je repense à l’amour qu’il a pour la musique. Je reviens à ça, à jouer pour le fun, à jouer des tounes des Beatles dans un cartable. Ça vient me rappeler que c’est pour ça que je fais ça. »

Pour éviter ladite écœurantite, Lisa aura dû apprendre à répondre plus souvent non et à demander à son équipe de ne pas trop lui presser le citron. La médicamentation, « ç’a changé ma vie ! Wow ! », confie-t-elle, un sujet qu’elle accepte d’aborder parce qu’elle aurait aimé, plus jeune, que ses idoles parlent aussi librement de santé mentale.

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Lisa LeBlanc au micro de notre balado

Lisa n’oubliera jamais la route de dix heures séparant Montréal de son village natal, « la pire drive de toute ma vie », au terme de laquelle elle a dormi pendant « six jours straight ». Le bout du rouleau ? Elle le connaît un peu trop intimement.

Si elle vivait depuis l’adolescence des dépressions saisonnières, c’est durant la pandémie qu’elle a enfin admis que son état ne s’améliorerait pas qu’en faisant plus d’exercice et qu’elle avait « besoin d’antidépresseurs pronto ! ».

Du temps bien perdu

Elle a retrouvé peu à peu le goût de la musique grâce à la pharmacopée moderne, mais aussi grâce aux soirées de bingo en ligne qu’organisait son amoureux durant la pandémie, pour lesquelles elle s’est mise à écrire, sans pression, des ritournelles volontairement nounounes, qui composent un nouvel album de Lisa LeBlanc. Chiac Disco, son euphorisant album paru en mars 2022, en a émergé bientôt.

En 2014, la musicienne lançait un EP intitulé Highways, Heartaches and Time Well Wasted. Et même si elle est l’autrice de ce titre, Lisa doit se répéter à quel point la créatrice en elle gagne à s’offrir un peu de ce temps judicieusement perdu, à quel point les heures à errer qu’elle s’autorisait durant ses premiers voyages aux États-Unis ont souvent débouché sur quelque chose de magique.

« Je ne suis pas vraiment practice what you preach », précise l’interprète de Pourquoi faire aujourd’hui, comme pour souligner que rien n’est jamais complètement réglé. « J’ai vraiment de la misère à ne pas sentir de culpabilité quand je ne suis pas super productive, mais j’essaie de me rappeler qu’il faut que je relaxe, qu’il faut que j’enjoy la vie. »

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Trois citations tirées de notre entretien

À propos de son accent et du chiac

« Il y a de bonnes façons d’en parler et de mauvaises façons d’en parler. Les bonnes, c’est quand quelqu’un est curieux pour de vrai. Les mauvaises, c’est quand on imite au milieu d’une phrase. Ça, ce n’est pas le fun, pour peu importe qui. Je le vois de moins en moins, comparativement à quand j’ai commencé, mais ça t’arrête tellement au milieu d’une phrase. […] Moi, je ne remarque pas que j’ai un accent, je parle juste. »

À propos de la chanson Aujourd’hui, ma vie c’est d’la marde

Lisa a écrit Aujourd’hui, ma vie c’est d’la marde sur un coin de table, dans le but de faire rire un ami qui, lui aussi, traversait des jours calamiteux. « C’était au Quai des Brumes [bar spectacle du Plateau], on faisait la première partie de Québec Redneck Bluegrass Project. J’ai fait la toune, et pour moi, c’était la première et la dernière fois que je la faisais, je n’allais plus la jouer. Et tout d’un coup, je me suis retrouvée avec un Quai des Brumes au complet qui était en train de chanter ma toune. Personne ne me connaissait ! C’est comme ça que ç’a commencé. Je me suis dit : I guess que je vais continuer à la faire en show. »

À propos de Voivod

En 2017, au Festival d’été de Québec, le légendaire groupe métal de Jonquière est venu rejoindre Lisa sur scène, lors d’un spectacle auquel participaient aussi, en tant que choristes, sa mère et ses tantes. « J’étais tellement excitée ! Voir mes tantes et Voivod backstage, c’était tellement hilarant. Voivod, c’est le band le plus sweet au monde. Et tu voyais mes tantes dire [Lisa prend la voix d’une de ses tantes, attendrie par l’étonnante douceur de ces gars chevelus] : “Ils sont gentils, han, ils sont assez fins !” »

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