À la fin des années 1970, une bande de filles du nord de l’île de Montréal fondaient Blue Oil, clin d’œil au choc pétrolier qui sévissait alors. Une quarantaine d’années plus tard, elles apprendraient avoir été à l’origine du premier groupe punk féminin au Québec.

Comment Manon Fatter s’est-elle mise à la batterie ? « Ma sœur Christiane jouait de la guitare et elle trouvait que je n’avais pas d’oreille, alors je me suis dit : je vais jouer de la batterie. »

Comment Manon Asselin s’est-elle mise à la basse ? « Christiane m’avait donné des cours de guitare, mais comme j’avais de l’oreille, et qu’elles avaient besoin d’une bassiste, les filles ont décidé que j’allais jouer de la basse. »

1979. Dans le salon de la maison des Fatter, les deux Manon et Christiane fondent Blue Oil, puis dénichent rapidement des contrats sur le circuit des clubs de la province ainsi que dans certaines salles de Montréal.

« Le Québec n’étant jamais en avance sur le reste du monde, on pouvait jouer des covers qui passaient pour des compositions, parce que les gens ne les connaissaient pas », se souvient avec un demi-sourire malicieux la guitariste Marie Martine Bédard, qui s’est jointe au groupe en mars 1981, peu avant le départ de Christiane.

PHOTO MICHEL PAUL BÉLISLE, FOURNIE PAR MANON FATTER

Manon Fatter, Marie Martine Bédard et Manon Asselin

En plus de leurs propres chansons, leur répertoire emprunte ainsi à celui, indocile et extravagant, des Pretenders, Sex Pistols, Nina Hagen, Patti Smith, X-Ray Spex et autres Devo. De quoi trancher avec le rock dinosaure qui dominait alors dans ces bars où les quatre premiers Led Zep composaient une sorte de petit catéchisme auquel ne pas déroger.

« Mais nous, on ne voulait pas en jouer, du Led Zeppelin », tranche Manon Fatter, rencontrée avec ses camarades dans un restaurant de l’arrondissement de Saint-Laurent, là où est né Blue Oil. « On a propagé la bonne nouvelle du punk et du new wave, une fin de semaine à la fois, à Coaticook, à Marieville, en Beauce. Et chaque soir, à la fin du troisième set, on finissait avec My Generation et on démolissait le drum. »

J’étais déjà très féministe et pour nous, le punk, c’était une façon de ne pas être associées à tous ces bands de rock dominé par des hommes, dont les paroles étaient souvent misogynes.

Marie Martine Bédard

Jouer vite

Au hasard d’une boîte de disques qu’il achète un jour dans une vente-débarras de Verdun, l’animateur et auteur Félix B. Desfossés tombe sur une merveille insoupçonnée de gouaille et de vélocité : le 45 tours de la chanson Money (1982), seul enregistrement commercialisé de cette incarnation de Blue Oil.

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En février 2019, le grand spécialiste des marges musicales québécoises consacre aux filles une chronique à l’ancienne émission d’ICI Première On dira ce qu’on voudra, dans laquelle il déclare Blue Oil premier groupe punk rock féminin au Québec.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Blue Oil, près de 45 ans après sa fondation

C’est cette chronique qui portera leurs irrésistibles brûlots jusqu’aux oreilles de l’étiquette britanno-colombienne Supreme Echo, spécialisée dans l’exhumation de trésors cachés des scènes métal et punk. Elle lancera le 26 mai un 33 tours regroupant de nombreuses chansons inédites, retrouvées sur des cassettes par ces pionnières qui s’ignoraient.

« Ce qui m’a frappée quand je nous ai réécoutées, c’est à quel point on jouait vite », observe Manon Fatter, dans son coton ouaté des Breeders, groupe phare du rock alternatif des années 1990.

De l’utilité des fusils à eau

Si elles ne savaient pas avoir été le premier groupe punk féminin au Québec, les trois membres de Blue Oil n’ont jamais eu le luxe de faire abstraction du sexe et du genre auxquels elles appartiennent. Des gars en boisson (ou pas) qui tentent de zieuter sous leurs jupes ?

« On avait une technique pour les chasser », se rappelle Marie Martine (alias Thin Coma) en décochant un sourire à son amie.

Manon avait des pistolets à eau à côté de sa batterie et dès que je les voyais s’essayer, je lui faisais un clin d’œil et elle les arrosait.

Marie Martine Bédard, à propos des gars qui tentaient de zieuter sous leurs jupes

Des expériences affligeantes dont sont imprégnés certains de leurs textes, dont celui de la furax Producer, dans laquelle Manon Asselin (alias Nilessa Noname) hurle, plus de trois décennies avant l’affaire Weinstein, « ain’t gonna do a special for you, ain’t gonna suck you ».

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Après le départ de Marie Martine Bédard en 1985, Blue Oil connaîtra une nouvelle vie et renouvellera son son, désormais plus près des Go-Gos et des Bangles. Marc Durand, réalisateur de Men Without Hats, de The Box et de Bundock, tient les commandes d’un maxi en 1988, ainsi qu’en 1992 du seul album de Ginger Snaps, formation ayant émergé des cendres de Blue Oil.

Aujourd’hui ? Depuis qu’elle est veuve, Manon Fatter enregistre de la musique chez elle sous le nom Bluchickn. Marie Martine Bédard n’a jamais abandonné ses instruments et lancera le 31 mai un album intitulé Projet Hippocampe, dans lequel elle témoigne de son processus de guérison à la suite d’une agression sexuelle.

Et Manon Asselin ? La fin de Ginger Snaps avait marqué pour elle l’heure du retour aux études, en informatique. « Mais là, avant-hier, ça m’a pris tout d’un coup, je suis allée dans un pawn shop et je me suis racheté une guitare et un petit ampli. »

Blue Oil

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Supreme Echo
Album offert le 26 mai

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