« Les vieux punks ne meurent jamais, ils vont juste se coucher plus tôt », a un jour dit le peintre Zilon, une phrase que le guitariste et auteur Alan Lord a choisi de placer à la toute fin de sa rocambolesque autobiographie, High Friends in Low Places, le récit de ses années où il se couchait vraiment tard.

Il y a 20 ans, Alan Lord écrivait la première phrase de ce qui deviendrait son autobiographie, une quinzaine de mots contenant déjà tout un programme : « J’ai fumé un joint avec [William] Burroughs au coucher du soleil et j’ai intensément fait l’amour avec Kathy Acker [écrivaine culte de la postmodernité américaine] à l’aube. » Comment ne pas vouloir lire la suite ?

Mais qui est Alan Lord ? Rien de moins que le Zelig de la marge montréalaise. Pionnier du punk, guitariste de Lucien Francœur, membre de l’iconoclaste formation Vent du Mont Schärr, organisateur d’évènements littéraires, journaliste et toutes autres ingrates tâches connexes, l’homme a côtoyé tout ce que le Montréal des années 1980 recelait de personnages rejetant le narcotique ronron de la culture de masse.

« J’ai toujours eu la conviction qu’il fallait que je mette le plus de vie possible dans ma vie », confie en entrevue le musicien de 68 ans. La mort en 2006 de son ami le poète Mario Campo, puis deux cancers, dont il est aujourd’hui remis, feront l’effet d’électrochocs : s’il voulait raconter cette vie bien remplie, c’était maintenant ou jamais.

Vie bien remplie ? Alan Lord a aussi largement contribué en tant qu’ingénieur civil – le job qui lui a permis de payer ses comptes et de financer ses nobles projets pas rentables – à l’édification du Biodôme et du pont Saint-Jacques. « J’ai toujours été moitié freak, moitié nerd. »

Se sentir en vie

En 1977, Alan Lord se procure les premiers albums des bâtisseurs du punk anglais, The Damned et Sex Pistols. Une claque, certes, mais pas aussi superbement violente que celle qu’il encaissera quelques mois plus tard, en 1978, en se rendant assister à son premier spectacle punk mettant à l’affiche des groupes locaux, au 364, rue Saint-Paul, dans le Vieux-Montréal.

Un show punk à Montréal ? Je n’y croyais pas ! Mais j’y suis allé et c’était le chaos total, l’extase, le délire.

Alan Lord

« Pour la première fois de ma vie, écrit-il dans son autobiographie, je me sentais réellement en vie. »

Deux amitiés essentielles l’entraîneront ensuite dans la direction de la littérature : celles de son ami Mario Campo, un frère, et de Lucien Francœur, avec qui il a assuré la première partie des Ramones le 23 mai 1980 à l’auditorium Le Plateau.

Alan Lord, bien que né au sein d’une famille francophone, a fréquenté l’école anglaise, ce qui explique que son livre ait été écrit dans la langue de Johnny Rotten. « Pour moi, la poésie, c’était plate, c’était Alfred Lord Tennyson ou Rudyard Kipling. Une des premières choses que Francœur a faites, c’est de me mettre Une saison en enfer entre les mains. Je suis tombé sur le cul. »

Un autre Montréal

Alan Lord deviendra un des plus importants promoteurs montréalais, grâce à son festival Ultimatum, d’une poésie s’épanouissant avec davantage d’aise dans des lieux malodorants comme les Foufounes Électriques que dans le silence des bibliothèques. Après avoir assisté à la première du documentaire Burroughs : The Movie, il accepte l’invitation du réalisateur Howard Brookner de le suivre à New York, afin de visiter le bunker de l’auteur de Naked Lunch, dans le Lower East Side.

Il participe quelques semaines plus tard, en 1984, à la fête soulignant le 70anniversaire de William Burroughs, qu’il côtoiera à quelques reprises, une anecdote témoignant du fascinant naturel avec lequel les rencontres se produisaient dans le monde du moins conformiste des ingénieurs.

L’autre ténor de la Beat Generation, Allen Ginsberg, l’écrivaine Chris Kraus (I Love Dick) et la paire de méchants moineaux que formaient Denis Vanier et Josée Yvon comptent aussi parmi les figures majeures qui surgissent dans High Friends in Low Places, un récit cru et hilarant, généreux en phrases cinglantes, en scènes explicites et en anecdotes abracadabrantes.

Gerry Boulet y fait aussi une brève apparition, alors que Vent du Mont Schärr termine ex æquo avec Les Taches en 1986 au concours Rock Envol, au jury duquel siégeait le chanteur d’Offenbach. « Gerry a voté contre nous autres, se rappelle Lord en riant. Lui, il aimait le rock sincère de gars qui braille dans ses tatouages. Nous autres, on était dans la dérision à l’extrême. »

Écoutez Sophie Stiquée de Vent du Mont Schärr sur Bandcamp

Texte majeur pour la mémoire de la contre-culture québécoise, High Friends in Low Places dépeint le monde révolu d’avant les réseaux sociaux, où un festival s’organisait à coups d’appels téléphoniques et de poignées de main. Il décrit surtout un autre Montréal que celui, figé, des cartes postales.

Alan Lord écrit en conclusion qu’il espère avoir su montrer que la métropole a un jour abrité une scène underground de calibre international, qu’elle a déjà été synonyme d’autre chose que « le Cirque du Soleil, le smoked meat et Leonard Fucking Cohen ».

High Friends in Low Places

High Friends in Low Places

Guernica Editions

352 pages