Pour la première fois de son histoire, l’Orchestre Métropolitain inaugurera sa saison avec une chanteuse autochtone. Elisapie a discuté avec nous de ce que cela signifie pour une Inuk de se produire à la Maison symphonique à une époque où les enjeux autochtones font de plus en plus la manchette.

« La pièce qu’on va faire dimanche, c’est comme si c’était quatre saisons. Une sorte de boucle. On part en aventure et on termine dans la douceur », décrit la musicienne originaire de Salluit, dans le Grand Nord québécois.

Celle qui a fait sa marque dans l’univers de la musique folk et qui a justement déjà tenu le rôle de la Chanteuse folk dans l’opéra Louis Riel d’Harry Somers, à Québec en 2017, en est à son premier projet d’envergure dans la sphère classique. « Monter un projet comme ça, avoir carte blanche, c’est un nouveau défi », confie-t-elle.

Le cœur de l’œuvre, intitulée Nunami nipiit, qui signifie « échos de la terre » en inuktitut, est constitué de deux chansons de son dernier album acclamé The Ballad of the Runaway Girl, soit Qanniuguma et Una.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Elisapie

Musicienne autodidacte, elle a fait un premier travail avec son complice, le guitariste Jean-Sébastien Williams, puis avec l’arrangeur François Vallières pour la partie plus orchestrale, notamment pour l’introduction, la transition et la conclusion. Son amie Sylvia Cloutier, de Kuujjuaq, se joindra à elle sur la scène de la Maison symphonique pour des chants de gorge.

« Je vois vraiment ça comme une aventure. On part en voyage et on s’arrête en chemin pour ces deux chansons, qui sont deux paysages très opposés. Il y a un côté très masculin, et un autre très féminin que je voulais aborder. Car il y a une telle violence, une telle force dans les paysages du Grand Nord, mais aussi de la douceur en même temps », explique la chanteuse qui vit à Montréal depuis une vingtaine d’années.

« Mon but est que les gens vivent de grandes émotions, qu’ils puissent vraiment être cognés, bam ! dit-elle en guise d’illustration. Même si les spectateurs ne comprennent pas l’inuktitut, je veux qu’ils soient happés par l’émotion. »

Pourtant présents

Quand Elisapie avait 12 ou 13 ans, jamais elle n’aurait pensé qu’elle deviendrait un jour chanteuse. « Pour moi, c’est un grand symbole de pouvoir être là dimanche, une revanche même », souligne Elisapie, fière de contribuer à faire sortir de l’ombre les artistes autochtones.

Il faut parler de nous, il faut nous intégrer, arrêter de nous mettre dans une petite boîte à côté. On devrait arrêter de voir ce que les peuples autochtones font comme de la “musique du monde”. Les gens disent qu’on voit de plus en plus d’Autochtones, mais on a toujours été là ! C’est juste qu’on ne savait pas qu’on pouvait prendre cette place. Surtout qu’on ne nous invitait pas vraiment.

Elisapie

La chanteuse est intarissable sur les questions politiques. « Notre envie de nous exprimer n’a jamais été aussi viscérale, dit-elle. On ne s’excuse plus, it’s about time ! »

« Les Premières Nations, c’est toujours un sujet qu’on veut ignorer, mais qu’on va sortir au dernier moment pour dire : "Moi, je suis là pour les Autochtones." C’est pas intéressant, c’est too much pour un citoyen normal », se désole-t-elle.

Citant le taux de suicide chez les Inuits, neuf fois supérieur à celui des non-Autochtones, et les cas de cancer traités trop tardivement, elle demande : « Legault et son ministre de la Santé, est-ce qu’ils nous aident vraiment ? Pourtant, ils nous représentent. Il y a encore cette mentalité de "ouais, vous êtes loin". Mais on est au Québec ! On paie des taxes, on vote. On est censés avoir un PM qui se sent concerné par nous. »

La chanteuse suit évidemment avec intérêt la présente campagne électorale. « J’espère que tous les Autochtones, pas un de moins, vont aller voter », lance-t-elle avec conviction.

La chanteuse reprend son souffle et tempère : « J’ai beaucoup de choses à dire par rapport à la politique, mais j’ai tellement d’autres belles choses à dire, affirme-t-elle. On nous voit comme des êtres démunis, déprimés, sur le bord du suicide, à juste boire… Tout ce qu’on veut, les Autochtones, c’est de la joie, des échanges, de l’amitié. Si on en avait plus, ce serait extraordinaire. On est tellement des gens fiers, ouverts, remplis de joie, qui vivent au moment présent. La beauté, l’humour, la folie… on est aussi ça ! »

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