En signant avec la Maison Barclay Canada, Izzy-S est devenu l’un des rares rappeurs d’ici à se joindre à une multinationale du disque. La Presse l’a rencontré.

Passer de l’indépendance totale à une major, ça n’arrive pas tous les jours. Stanley St-Fort, alias Izzy-S, en est bien conscient. Il sait aussi qu’une telle signature n’arrive pas à beaucoup d’artistes hip-hop québécois.

« C’est sûr que ça fait différent de ce qu’on entend d’habitude au Québec », dit le rappeur de 25 ans, qui nous reçoit dans les locaux de Universal, à Montréal, assis devant une affiche de Justin Bieber.

Au milieu des années 2010, Izzy-S a participé à la revitalisation de la scène hip-hop québécoise, dans un style assimilé au gangsta rap. Il était alors l’un des rares à récolter des centaines de milliers de vues sur YouTube.

En 2018, il a placé deux chansons dans le film La chute de l’empire américain, de Denys Arcand. L’année suivante, il a fait le tour du Québec à l’occasion de la sortie de son album Empire.

Izzy-S veut maintenant passer de l’auteur-interprète connu localement à celui qui a vraiment « pété » des portes.

Paru vendredi dernier, son second single chez Barclay (Mon canon) est un autre pas dans cette direction.

Plus qu’un rappeur street

Le natif du quartier Saint-Michel explique qu’il n’aime pas l’étiquette de « rappeur street » que certains lui accolent. « Le rap a déjà de la misère à faire sa place, alors si tu mets le mot street devant, c’est sûr que ça ferme des portes. C’est plus péjoratif qu’autre chose... »

Son gangsta rap demeure porteur de messages : la chanson Hood met en garde sur les risques de la street life. « Après tout ce que la rue m’a pris, je ne sais plus vraiment si ça paye », chante-t-il. Dans le refrain, il conseille de ne pas répéter les mêmes erreurs une fois sorti de prison.

En discutant avec lui, on constate que beaucoup de choses se cachent derrière son image de rappeur. Par exemple, le titre Céline Dion, paru en 2021, n’est pas un hasard. Izzy-S dit qu’il n’hésiterait pas une seconde s’il pouvait faire une collaboration avec la star de Charlemagne. Il ferait une chanson avec Céline bien avant Drake. Il s’agit de sa chanteuse préférée.

Il nous parle également de sa passion pour la cuisine : « J’ai toujours dit que si je n’étais pas rappeur, je serais chef cuisinier. » À la maison, tous ses frères savent faire à manger. Izzy-S, lui, écoute des émissions de cuisine à longueur de journée. Le chef Ricardo Larrivée a d’ailleurs déjà commenté sa page TikTok, où il fait partager ses recettes.

De la musique au centre jeunesse, du centre jeunesse à la musique

C’est lors d’une peine de 24 mois dans un centre jeunesse, pour des raisons qu’il préfère taire, que le rappeur réalise son potentiel. Nous sommes en 2014 et il est âgé de 17 ans. Il lance son premier vidéoclip, Dopeboy, une semaine avant son arrestation.

Au centre jeunesse, il est une vraie vedette. Même les éducateurs l’appellent Izzy-S. Là-bas, il écrit beaucoup, mais faire du rap est compliqué. Pour avoir des instrumentaux, il doit se cacher dans la classe pour télécharger des chansons ou demander à sa sœur de remplir un lecteur de musique MP3 avant de lui rendre visite.

Durant son incarcération, Izzy-S reprend ses études scolaires et lit des centaines de livres.

J’ai reçu la bourse du meilleur élève de tout le centre [jeunesse]. [...] Je n’ai jamais aimé l’école parce que je n’aimais pas l’autorité, mais, sinon, je suis un bollé.

Izzy-S

Mon canon

Vendredi dernier, le rappeur a publié Mon canon, deuxième single depuis sa signature avec la Maison Barclay Canada.

« J’ai hâte de faire écouter Mon canon, a dit Izzy-S avant la parution de la chanson. C’est un vibe. Le beat [...] fait danser. »

Produite par le beatmaker DJ Erise (Aya Nakamura, La Fouine, OrelSan), Mon canon est effectivement une mélodie d’été.

« Je ne parle qu’avec mon canon », chante Izzy-S dans le morceau. Une référence aux armes à feu ? La question se pose dans un contexte où les fusillades font constamment l’actualité. « C’est une métaphore, répond-il en riant. Je ne dis pas que je vais te tirer dessus. La chanson, pour moi, est zéro violente. »

Lui-même victime d’une fusillade en 2017, il croit que les rappeurs n’ont pas à prendre de position sur ce problème. « Le gouvernement a plus de responsabilités [à prendre] que les rappeurs. Si tu ne veux pas que les jeunes fassent ça, fais-leur faire autre chose. »

Pour l’artiste, une partie du problème réside dans l’absence de modèles pour les jeunes issus de l’immigration.

« Il manque de diversité partout au Québec. Pourquoi le jeune ferait-il du théâtre s’il y a personne comme lui à la télévision ? Pourquoi irait-il en politique ? Il n’y a pas de Noirs au gouvernement... »

Un point de vue réfléchi, loin des mauvais clichés de la culture street.