Le collectif philadelphien The Roots a reçu le mandat, samedi soir, de clôturer 10 jours d’un 42e Jazz généreux en soleil et en musique qui réchauffent. Les routiers du hip-hop, qui retrouvaient le rendez-vous après plus d’une décennie, ont rendu gloire aux grands noms du funk, du rap, de la disco, de la soul et du R & B dans un feu orchestral incessant.

Ceux qui étaient à la place des Festivals s’en souviendront longtemps. Ils n’auront pas pu souffler une nanoseconde, emportés pendant près de deux heures par la dégaine de Tariq Trotter (Black Thought) et de sa bande experte.

Environ les deux tiers des pièces jouées sur la grande scène étaient des emprunts déconstruits, malaxés et remaniés façon hip-hop orchestral. Le chanteur, vêtu d’un survêtement blanc et coiffé d’un fedora beige, a vite mis la foule monstre dans sa poche en infusant sa Get Busy (2008) de la très funk Jungle Boogie signée Kool & the Gang. « Get down, get down/Get down, get down. »

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Le saxophoniste Ian Hendrickson-Smith et le tompettiste Dave Guy

La section de cuivres, principale caution jazz de The Roots, a vite offert ses premiers frissons, et n’allait pas discontinuer.

Il fallait surtout voir l’athlétique Tuba Gooding Jr. bondir avec son sousaphone, par définition surdimensionné, et entendre Dave Guy s’époumoner dans sa triomphante trompette.

Ajoutez du saxophone, de la flûte traversière (Ian Hendrickson-Smith), du keytar, une guitare (Captain Kirk Douglas) et une basse (Mark Kelley), et tout était en place pour une décharge acoustique sans égal dans le hip-hop contemporain.

Un oubli ? Entre les deux claviéristes Kamel Gray et James Poyser, l’inimitable batteur Questlove – et cofondateur de The Roots – marquait le rythme sur une plateforme surélevée. Chirurgical, omniscient, métronomique : c’était son trône.

Perdre le fil

Tantôt, The Roots invite You’re The One For Me du duo funk D. Train. Un autre tantôt, il convie Soul Makossa, rengaine du saxophoniste camerounais Manu Dibango empruntée – pillée ? – par Michael Jackson, puis Rihanna. Ce sera aussitôt Think Twice, d’Erikah Badu, et Looking at the Front Door, de Main Source, qui auront droit à une fusion toute « rootienne ».

À mi-parcours, l’enfilade de chansons What They Do, Next Movement et Act Too (The Love of My Life), les deux dernières extraites du légendaire Things Fall Apart (1999), a su rassasier les adeptes du contenu original de la formation philadelphienne.

Depuis longtemps, l’ordre des chansons n’avait plus d’importance ; ce serait un feu roulant d’allers-retours, de clins d’œil soul, de jams jazz, de découpages et de recoupages, l’ensemble soudé par le flow assuré et véloce de Black Thought et l’esprit de corps des musiciens, qui se risquaient ici et là à une légère chorégraphie à l’avant-scène.

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La foule était comblée pour cette dernière soirée du festival.

Forte de son expérience de house band (groupe maison) chez Jimmy Fallon, la troupe formée en 1987 sait rebondir. C’est bien Running Up That Hill (A Deal with God) que le guitariste Kirk Douglas a chanté dans le déroutant segment rock qui lui était dévolu.

Quelle soirée ce fut ! Un point final parfait à un festival qui reprenait pleinement vie après deux ans de latence ! La présence de The Roots à Montréal, seul arrêt canadien au cœur de sa tournée américaine estivale, s’est offerte en cadeau aux festivaliers, prompts plus que jamais à se laisser emporter, tanguer et réchauffer, par le soleil comme par la musique.