Oscar Peterson, Bill Evans, Toots Thielemans. « Il y en a des pires », résume Michel Donato, l’œil espiègle, à propos de quelques-uns des Maurice Richard du jazz avec qui il a dialogué sur scène. Rencontre avec le légendaire contrebassiste, qui soufflera ses 80 bougies samedi soir au FIJM.

À 15 ans, Michel Donato est engagé par l’accordéoniste Michel Sauro afin de l’accompagner à la contrebasse. L’adolescent jouait déjà de la « grosse machine » (son expression) depuis ses 12 ans grâce à son père Roland, musicien semi-professionnel qui présentait des spectacles dans des salles de danse, comme celle de l’hôtel Windsor.

« Sauro me demande de jouer Bésame mucho », se remémore le musicien, rencontré un matin de soleil dans un parc de Côte-des-Neiges, son quartier. « Et moi, j’étais tout de suite parti en peur. » Le presque octogénaire mime une avalanche de notes, sa main gauche se déplaçant frénétiquement sur le manche imaginaire.

Sauro m’avait dit : “C’est bon, ce que tu fais, mais le problème, c’est que là, on aurait tous les deux besoin d’un joueur de bass.”

Michel Donato

La leçon — celle des inestimables vertus de l’économie de moyens — deviendra pour lui comme un modus operandi. Aux côtés des grands du jazz comme de ceux de la pop, Michel Donato a d’abord et avant tout été un allié indéfectible même si sa discographie compte plusieurs enregistrements permettant de prendre la pleine mesure de l’ampleur de son vocabulaire mélodique. Ses deux albums en duo avec Karen Young en 1985 et en 1988 demeurent la plus belle preuve que Michel Donato, derrière son instrument, est lui-même une sorte de chanteur.

PHOTO ANNE GAUTHIER, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Donato au Festival de jazz en 2013

Mais un contrebassiste, insiste-t-il, « c’est quelqu’un qui fait un bon plancher pour tout le monde ». « Je m’étais payé la traite à un moment donné et j’avais engagé Charlie Haden [mythique contrebassiste du quatuor d’Ornette Coleman, c’était en 1996]. Je me suis fait walker [porter] par Charlie Haden ! C’est dans ce temps-là que tu comprends tout le confort que tu peux offrir à un soliste, lorsqu’il se sent écouté. C’est là qu’il peut être aussi bon qu’il l’est vraiment. »

Juste chanceux

Enfant de la Petite Italie, né le 25 août 1942, Michel Donato se joint à 16 ans au big band de Vic Vogel et ne cessera jamais de côtoyer les créateurs d’exception. « Je suis juste chanceux », répète-t-il à plusieurs reprises.

Et c’est parce qu’il avait conscience de cette chance qu’il a toujours tenté de soutirer tout leur jus à ces rencontres majeures.

À Pittsburgh, lors d’une tournée avec Oscar Peterson durant la première moitié des années 1970, Dizzy Gillespie demande au pianiste montréalais s’il peut lui emprunter son contrebassiste, le sien étant aux abonnés absents. « Oscar répond : “Sure.” Évidemment que je connaissais Manteca [une des plus grandes compositions du trompettiste], mais je voulais me payer la traite. Je lui ai dit : “Monsieur Gillespie, est-ce qu’on peut aller dans la loge pour que vous m’en jouiez un bout ?” Je me suis fait jouer Manteca par Dizzy Gillespie, tout seul ! »

Il emploiera le même stratagème — feindre l’ignorance — auprès de Félix Leclerc, avec qui il enregistre en 1979 Chansons dans la mémoire longtemps. « Je me suis fait chanter Moi, mes souliers par M. Leclerc, le pied sur la chaise, avec sa guitare. Ça aussi, c’était pas pire. »

Moins de notes

Cette palpable admiration pour ses camarades d’un soir ou d’une vie n’aura cependant jamais été paralysante. Michel Donato accepte en 1977 de se joindre à Philly Joe Jones et à Bill Evans, à l’invitation de ce dernier, au Rising Sun, mythique club de jazz de la rue Sainte-Catherine.

« J’étais entre Bill et Phil et au début, j’étais intimidé, tu comprends. Je me retenais un peu, mais à un moment donné, je me suis dit : “Fuck, là, je vais jouer pour vrai, vas-y, Donato !” Et aussitôt que j’ai fait ça, Bill s’est levé, il m’a regardé et il m’a dit : “Yeah, baby !” » Il préférera cependant ne pas les suivre en tournée afin de rester auprès de son amoureuse et de leurs deux enfants.

En 1992, Michel Donato s’apprête à assister avec sa femme au concert du pianiste Gonzalo Rubalcaba. Conflit d’horaire : Rubalcaba est en retard, mais son contrebassiste, Charlie Haden, est attendu ailleurs, dans une autre salle.

Ménard [André, cofondateur du FIJM] vient me voir : “Donato, as-tu ta basse ?” Je me suis retrouvé sur scène avec Gonzalo, à qui je n’avais jamais parlé. Je l’ai regardé, j’ai fait un signe de croix, puis on est partis. Méchant pianiste ! C’était ben mieux que d’être dans la salle.

Michel Donato

La différence entre un bon musicien et un très bon musicien ? « C’est comme le sport », répond celui dont l’écrivain et animateur Stanley Péan prépare la biographie. « Il y a les joueurs de hockey et il y a Maurice Richard. Un très bon musicien, tout ce qu’il fait a l’air facile. Quand Lemieux déjoue trois gars, t’as l’impression que toi aussi tu pourrais le faire. »

Il sera samedi soir entouré d’une vingtaine d’invités parmi l’élite du jazz québécois, qu’il a lui-même choisis. Son jeu s’est-il transformé avec les années ? « Je fais moins de notes, mais je pense que j’en fais des plus belles. »

Michel Donato et invités – Les 80 ans de Michel Donato, le 9 juillet à 18 h, au Gesù

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