Le samedi 25 juin, la pianiste québécoise Marie-Ève Scarfone, cheffe de chant à l’Opéra de Zurich, sera de passage au Domaine Forget pour un concert hommage à Joseph Rouleau. Un engagement inscrit à son horaire depuis longtemps ; il lui arrive cependant de se retrouver sur scène de façon… spectaculairement imprévue.

Le 15 avril dernier, elle a été acclamée pour un récital au Staatsoper de Berlin, avec la célébrissime mezzo-soprano Cecilia Bartoli.

C’est pourtant à peine deux jours plus tôt, alors qu’elle sortait de la douche à 23 h, que Bartoli lui a fait la grande demande : accepterait-elle de remplacer au pied levé le pianiste Daniel Barenboim, qui venait d’avoir un malaise important ?

photo Brent Calis, fournie par Marie-Ève Scarfone

Marie-Ève Scarfone

« Fin mars, j’avais fait travailler Cecilia pour ce programme en tant que coach, mais pas du tout dans l’optique de le jouer en concert ! », raconte Marie-Ève Scarfone.

« Le lendemain, je devais mener la répétition prévue avec les chanteurs de l’Opéra de Zurich, puis penser à la valise, à la robe, au billet d’avion, négocier un cachet, sans oublier de prévoir une tourneuse de pages… et un gardien pour mon chat ! »

En acceptant de relever le défi, elle était consciente qu’elle n’aurait pas le temps de retravailler sérieusement les pièces au piano : tout allait se jouer dans la préparation mentale, l’attitude. Ne pas se laisser intimider par l’importance de la star qu’elle devait accompagner… ni par la célébrité du pianiste qu’elle allait remplacer !

« J’ai survécu à plusieurs situations de ce genre, il fallait que je me fasse confiance. »

Marie-Ève a souvent dépanné des chanteurs se retrouvant sans pianiste pour une audition importante. Il lui vient un autre souvenir : un après-midi de décembre, alors qu’elle magasine des luminaires chez Rona, un téléphone de Marc Hervieux la convainc de faire deux heures de route pour sauver un concert de Noël.

Elle arrive sur place à 19 h 50, prend 10 minutes pour regarder la musique dans la loge, puis se lance.

J’ai une admiration sans limites pour ces musiciens qui ont les moyens techniques et le système nerveux pour relever de tels défis.

La soprano Myriam Leblanc fait partie de cette espèce surnaturelle, elle l’a prouvé brillamment en novembre 2020.

« Le téléphone a sonné à 12 h 30, un samedi où je venais d’enchaîner tout le ménage de la semaine, pensant me reposer après. Alexandra Scheibler, la directrice du Festival Bach, me demandait de remplacer le soir même une soprano malade… Ça impliquait d’apprendre en un après-midi deux cantates de Bach que je n’avais jamais chantées ! »

Son mari, le musicien Grégoire Jeay, est le premier convaincu : « C’est sûr que tu es capable. » Il connaît ses immenses capacités en lecture à vue (héritage de ses années de violon) et sait que son oreille absolue est un atout important.

Elle reçoit les partitions à 13 h, les regarde 30 minutes pour évaluer ce qu’elle peut faire en lecture à vue, repérer les passages mélodiquement ou techniquement plus difficiles. Dans le taxi qui file vers la Place des Arts, elle lit en boucle le texte allemand des cantates.

Elle rencontre le chef Jean-Claude Picard à la générale : « Il a été extraordinaire, un soutien de tous les instants ! »

Comment tient-on le coup, dans ce genre de situation ?

« J’en ai encore des frissons en y repensant, mais le jour même, j’étais une vraie machine, en mode solution. Pas le temps de m’effondrer, il fallait absorber, à toute vitesse des dizaines de pages de musique. »

Pendant à peine une minute, elle se permettra de mesurer l’irréel de la situation : « Qu’est-ce que je fais là, en lecture à vue à la Maison symphonique ? »

Myriam, une perfectionniste, précise que quelques mots allemands ont été un peu massacrés, mais avoue s’en être plutôt bien sortie.

Le lendemain, mon collègue Christophe Huss écrivait dans Le Devoir : « Le sourire après le dernier “Alleluia” de la cantate BWV 51 en disait long sur la prouesse accomplie en quelques heures qui, à ce niveau, tenait en tous points (qualité, justesse, voix) du pur phénomène. »

Ces performances héroïques font jaser dans le milieu musical. Mais entraînent-elles des retombées concrètes ? Marie-Ève Scarfone parle d’un effet placebo : « Je suis la même pianiste, mais j’ai soudain plus de demandes pour des choses de plus grande envergure. »

Myriam Leblanc, quant à elle, a été surnommée « SUL », Service d’urgence Leblanc, par Bernard Labadie, qui lui a par la suite lancé des défis de dernière minute assez corsés.

J’aime aussi l’histoire improbable de cette chanteuse française, Adèle Charvet, qui a remplacé un chanteur malade à mi-chemin d’un Messie de Haendel auquel elle assistait comme spectatrice.

J’ai fait un cauchemar récurrent pendant 20 ans, à la suite de mes études en musique : j’arrive sur scène et me rends compte que je dois jouer une œuvre différente de celle que j’ai préparée.

Ce cauchemar a été vécu, en direct, par la grande pianiste portugaise Maria João Pires.

Retrouvant le chef Riccardo Chailly pour un concert d’après-midi, elle découvre, quand l’orchestre commence, qu’elle n’a pas préparé le bon concerto de Mozart. Elle a déjà joué celui qu’elle entend… mais il y a des mois de cela ! Elle fait un signe désespéré au chef qui, connaissant sa mémoire phénoménale, l’encourage tout en dirigeant l’introduction du concerto. Et elle se lance.

La vidéo de l’exploit est soudain devenue virale en 2013, même si l’incident remontait à 1999 : le courage fait parfois de la grande musique, et de bonnes histoires à raconter.

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Découvrez Myriam Leblanc

Myriam Leblanc sera en concert le 25 juin prochain, dans le cadre du festival Montréal Baroque

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