Personne ne s’attendait à ce que la succession d’Isolde Lagacé, qui quitte la direction de la salle Bourgie après 12 ans, soit confiée à un binôme. Ce sont en effet Caroline Louis et Olivier Godin, deux musiciens aux profils aussi fournis que complémentaires, qui prendront ensemble les rênes de ce lieu de diffusion central pour la musique classique à Montréal.

Le processus d’embauche, qui avait été lancé l’an dernier, était à l’origine destiné à pourvoir un seul poste. Mais le conseil d’administration de la Fondation Arte Musica, qui chapeaute la salle Bourgie, en a décidé autrement.

« Quand la salle a ouvert, il y a 12 ans, la moyenne de concerts était à peu près de 50 à 60 par année, et Isolde a géré ça à bout de bras pendant tout ce temps-là. Mais là, c’est rendu à 160 concerts, donc pour une personne, c’est beaucoup. Isolde l’a mentionné en quittant, et le C.A. a été très sensible à ça. Je pense qu’à deux, on ne sera pas de trop pour gérer un pareil nombre de concerts », a expliqué Olivier Godin, qui précise que le nombre de 160 n’est pas coulé dans le béton pour l’avenir.

Pianiste accompagnateur chevronné, ce dernier s’est notamment fait connaître au disque avec les intégrales des mélodies de Fauré et Poulenc, qu’il a enregistrées avec plusieurs chanteurs de renom chez ATMA. Il est également un coach vocal recherché, autant au Conservatoire de musique de Montréal qu’à l’Université McGill.

M. Godin sera officiellement directeur artistique pendant que sa collègue Caroline Louis, ancienne directrice aux projets éducatifs à l’Orchestre symphonique de Montréal et diplômée en musicologie, en piano et — sous peu – en administration des affaires, agira en tant que directrice générale. Mais pour les deux musiciens, il est clair qu’il s’agira d’une « direction à quatre mains ».

« On a les mêmes idées ! Depuis la première rencontre, il y en a un qui dit quelque chose et l’autre pense la même affaire », se réjouit le pianiste et pédagogue.

Organiser des concerts dans un musée implique évidemment une certaine sensibilité aux arts visuels, ce qui ne pose pas de problème pour Caroline Louis, visiteuse assidue de l’institution montréalaise qui se décrit comme « une grande amoureuse du XXe siècle », du pop art et du street art, et M. Godin, qui collectionne des œuvres du peintre arménien Jean Jansem et chérit autant Vermeer que l’expressionnisme allemand.

Ils rencontreront dès la semaine prochaine le directeur général du Musée des beaux-arts, Stéphane Aquin, afin d’établir un premier contact. Puis les deux administrateurs entreront en fonction le 13 juin, en collaboration, dans un premier temps, avec Isolde Lagacé, qui assurera la transition jusqu’au 15 novembre.

« Gros défi »

« Il y a beaucoup d’observation à faire d’abord. Mais il faut qu’on se plonge dans la programmation assez rapidement merci. Une saison se planifie deux ans d’avance, alors on n’est pas en avance, disons », concède le directeur artistique, à qui Mme Lagacé a voulu donner toute la latitude possible, à l’exception de quelques reports de concerts causés par la pandémie.

Même s’ils héritent d’une organisation dynamique et bien implantée, les défis ne manqueront pas. Celui de la diminution généralisée de l’assistance aux spectacles, accentuée par la pandémie, mais déjà palpable, en est une. Même que Caroline Louis parle du « plus gros défi des prochaines années ».

Faire baisser la moyenne d’âge fera sans aucun doute partie de l’équation. Mais ce n’est pas gagné d’avance.

Il n’y a malheureusement plus rien dans les écoles primaires pour la musique. Je ne pense pas que je serais musicien aujourd’hui si j’avais eu la formation qu’on donne actuellement dans les écoles primaires.

Olivier Godin

Le volet éducatif est considéré comme central par les deux collègues, qui ont travaillé dans ce sens dans les dernières années par l’intermédiaire de leurs emplois respectifs. Ils soulignent aussi, d’une même voix, l’importance de mettre en valeur les jeunes artistes qui sortent des établissements supérieurs de la métropole.

Le pianiste ajoute « qu’il y a éventuellement une rencontre à faire avec les gens du public, qui ont beaucoup de choses à dire par rapport à leurs attentes. Il va falloir s’asseoir avec eux et discuter pour savoir avec quoi ils sont confortables, qu’est-ce qu’ils aiment, etc. Parce que ce sont eux qui achètent les concerts, qui fréquentent la salle ».

Et il y a la pandémie, qui a changé bien des choses, notamment avec l’offre de concerts numériques. « On ne peut pas faire abstraction de tout ce développement qui s’est fait dans les deux ou trois dernières années », avoue la directrice générale.

En attendant, ils ont du pain sur la planche. « On a assez d’idées pour pas mal de travail ! », lance avec enthousiasme Olivier Godin.