En 2019, Les sœurs Boulay proclamaient La mort des étoiles, titre prémonitoire tant le monde leur fournirait, dans les mois suivants, d’autres raisons de désespérer. Après une longue pause durant laquelle elles ont songé à abandonner leur carrière, Stéphanie et Mélanie renouent avec la musique en tournant leur regard vers Les lumières dans le ciel.

Il fallait que ça cesse. À l’heure de rayer tous les spectacles restants à leur calendrier, en septembre 2020, Mélanie Boulay était très, très enceinte de son deuxième fils et Stéphanie, plus capable du tout. « Il y avait des moments où j’étais couchée par terre et mon chum devait m’aider à me relever, se souvient-elle. J’étais affectée à un niveau où juste penser à sortir de chez nous pour prendre une guitare dans mes mains, ça me levait le cœur. J’étais physiquement incapable de continuer. »

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Dans le soleil d’un printemps caniculaire, qui traverse la fenêtre du restaurant, Les sœurs Boulay arborent désormais des sourires sereins. Avec la nouvelle chanson qu’elles révèlent aujourd’hui, Les lumières dans le ciel, les autrices-compositrices se présentent dans les étonnants et scintillants habits de sonorités pop et synthétiques qui tranchent avec l’irrésistible bric-à-brac folk de leurs débuts.

Et pourtant, au-delà de cette douce transfiguration, Les sœurs Boulay, c’est plus fort qu’elles, demeurent mélodiquement et poétiquement Les sœurs Boulay, lorsqu’elles chantent comme un mantra : « Que vaut la vie, que vaut la vie ? »

La mort des étoiles, c’était la désillusion, c’était fuck, il n’y a plus d’espoir. Mais un jour, je me suis dit : si tu continues à faire de la musique, fille, va falloir que tu trouves de la lumière quelque part. Je suis rendue là dans ma vie : je ne veux plus être fataliste.

Stéphanie Boulay

Continuer d'exister

« Si tu continues à faire de la musique, fille. » L’amusante formule de Stéphanie ne tient pas de l’exagération. Au constat accablé que couvait La mort des étoiles, chronique d’un monde courant à sa perte, s’ajoutait à l’été 2020 une vague de dénonciations d’inconduites sexuelles à la suite de laquelle le patron de leur maison de disques, Eli Bissonnette, démissionnait.

Se libérer de leur contrat avec Grosse Boîte – leur nouvel album, prévu pour l’automne, paraîtra chez Simone Records – n’aura été possible qu’au prix de procédures judiciaires forcément pénibles. Stéphanie devait au même moment négocier avec les contrecoups des aveux sur les réseaux sociaux de son ex-amoureux, qui admettait avoir eu des « comportements abusifs » vis-à-vis d’elle. Un douloureux évènement qu’elle aurait préféré ne pas rendre public.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Les sœurs Boulay au Club Soda, en octobre 2019

« Je ne sais pas si les gens mesurent à quel point ç’a été difficile. On était très dégoûtées du milieu, au point où je me suis dit : au pire, je vais continuer à faire de la musique juste pour moi, pas dans l’industrie. On ne savait plus à qui faire confiance », dit Mélanie, qui se désole du même souffle du « backlash » vécu par plusieurs des dénonciatrices et de leurs alliées, contre qui beaucoup de représentants de l’industrie se seraient retournés. Sans compter « tous ces gens qui sont encore là, qui n’ont pas été dénoncés et qu’on va encore devoir côtoyer ».

Mais après avoir encaissé ce vertigineux désenchantement quant au milieu auquel elles appartiennent depuis 10 ans, Les sœurs Boulay auront tranquillement renoué avec l’essentiel : la musique.

Chaque fois que je suis devenue mère, j’ai eu envie de prendre un pas de recul par rapport à ma carrière, parce que je trouve ça difficile de jongler avec les deux. Puis tranquillement, ça revient me happer : je ne peux pas juste être mère. J’ai besoin de créer des choses à l’extérieur de ma vie de famille. J’ai besoin d’exister, et c’est ce que ça fait, la musique. Ça te fait exister tellement.

Mélanie Boulay

Éviter la noirceur

Bien qu’elles soient à présent reparties pour un autre tour de grande roue, Mélanie et Stéphanie Boulay sont aujourd’hui habitées par la conscience aiguë qu’elles doivent définir leurs limites. Chacune de leurs tournées, pour l’une ou l’autre ou les deux, s’est conclue par un burn-out.

« Il n’y a tellement pas beaucoup de place, tu te sens tellement reconnaissante quand t’as enfin de l’attention que tu sens que tu ne peux refuser aucune opportunité, sinon, tu vas perdre ta place. C’est la logique du capitalisme : si tu ne veux pas faire les sacrifices, quelqu’un d’autre va être prêt à les faire. Les maisons de disques ont beaucoup à gagner à t’essorer au maximum », regrette Mélanie qui, encore à ce jour, porte en elle la peur de replonger dans le même trou noir qui l’a avalée après leur première tournée.

« Être dans l’espace public crée une conscience de soi qui est plus difficile à gérer pour les femmes, parce que tu te fais tout le temps comparer à des femmes belles, minces, qui s’expriment bien, qui sont fortes, mais qui ne dépassent pas, qui sont sexy, mais pas trop. Et la pression de rester humble ! Je me suis beaucoup mis la pression de réussir, mais en même temps de ne pas changer, de tout le temps rester gentille et polie », explique Stéphanie.

L'amour existe encore

C’est à leur passage à Tout le monde en parle, en mars 2020, que remonte la genèse de ce quatrième album prévu pour l’automne. Taxées d’être déprimées et déprimantes sur les réseaux sociaux, Les sœurs Boulay auront obtenu la confirmation de ce dont elles se doutaient déjà – « Ce qu’on attend des personnalités publiques, c’est du divertissement, du rire, de la coquinerie », dixit Stéphanie – mais se seront aussi livrées à quelques séances d’introspection.

Qu’est-ce que ça dit sur moi qu’on me trouve déprimante ? Et s’il y a du vrai là-dedans, comment je fais pour regarder plus vers le positif ? Qu’est-ce qu’il me reste à dire si j’arrête de me plonger la face dans ma marde constamment ?

Stéphanie Boulay

Mélanie enchaîne et l’entrevue ressemble maintenant à une conversation entre sœurs à laquelle le journaliste assisterait presque par hasard. « J’ai eu cette réflexion-là moi aussi : pourquoi est-ce que, même si je suis heureuse, tout ce qui sort de ma bouche, c’est ce que j’ai remarqué de pas beau ? Pourquoi je ne fais pas davantage le choix de m’attarder au beau ? »

S’attarder au beau. Voilà ce à quoi elles se sont consacrées toutes les deux en enregistrant de la nouvelle musique avec le jeune réalisateur Connor Seidel, ainsi qu’en s’investissant dans d’autres projets : des études en ostéopathie pour Mélanie et de l’apiculture amateur pour Stéphanie. Que vaut la vie, que vaut la vie ? Beaucoup, on l’aura compris.

« Pourquoi est-ce que, collectivement, on met des enfants au monde, même si on sait que c’est la fin de l’humanité ? », lance cette dernière avant de répondre elle-même à sa question. « Parce que l’amour, c’est plus important que tout. »