Qui donc est cette Américaine au visage de chérubin à la conquête de la planète pop ? Il y a un an, personne ne connaissait son nom. Du plancher de sa chambre familiale (d’où elle sort à peine de l’adolescence), Olivia Rodrigo s’est hissée en tête de course des American Music Awards, qui auront lieu dimanche, et suscite un engouement comme il n’en arrive que très rarement. Décryptage.

Le phénomène

PHOTO CHARLES SYKES, ARCHIVES INVISION/ASSOCIATED PRESS

Olivia Rodrigo s’est produite à la cérémonie des MTV Video Music Awards en septembre dernier.

Fraîchement sortie de la machine Disney (elle tenait le rôle principal de la série High School Musical – La comédie musicale), Olivia Rodrigo a révélé ses talents d’autrice-compositrice-interprète en janvier dernier avec son succès Drivers License.

La puissante ballade, qualifiée de « classique instantané » par le Rolling Stone, a décroché le record de la chanson la plus écoutée en 24 heures sur le service Spotify. « Olivia Rodrigo aurait pu être conçue dans un laboratoire pour devenir la parfaite vedette pop adolescente », a écrit le magazine américain dans un éloge à l’artiste âgée de 18 ans.

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Scène du vidéoclip de la chanson Drivers License

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Son premier album, Sour, accumule des milliards d’écoutes et détient le record de l’album le plus écouté en une semaine sur Spotify. En tête de course des prestigieux American Music Awards, qui se tiendront dimanche, Olivia Rodrigo marchera sur les pas d’icônes de la pop comme Taylor Swift, qui a remporté ses premières statuettes à l’âge de 18 ans.

L’écrivaine

Si Drivers Licence a eu le succès qu’on lui connaît, c’est parce que le morceau encapsule ce qu’Olivia Rodrigo fait de mieux. Des textes complexes, détaillés, plus près du récit que de la chanson.

Ici, un permis de conduire sert de prétexte à l’histoire d’un amour déchu : « I got my driver’s licence last week / Just like we always talked about / ’Cause you were so excited for me / To finally drive up to your house. »

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On est loin des formules idiomatiques des stars de la pop d’un autre temps, fait remarquer le professeur de musicologie à l’Université du Québec à Montréal Danick Trottier. L’un de ses vers préférés peut être entendu dans Deja Vu, chanson qui s’inspire largement de Lana Del Rey dans son phrasé musical et ses références à l’americana : « You play her piano, but she doesn’t know / That I was the one who taught you Billy Joel. »

« Les ruptures amoureuses, les relations interpersonnelles, ce sont des thèmes qu’on retrouve dans la musique populaire depuis un siècle. Ce qui est intéressant avec Olivia Rodrigo, c’est qu’on se fait raconter une histoire. Il y a de la matière, une narration », explique M. Trottier.

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Scène d’une vidéo présentant les coulisses du vidéoclip de la chanson Good 4 U

La rebelle

L’artiste ne fait pas que dans la ballade. Elle assume aussi un son très pop-punk, qui a connu son heure de gloire au début du millénaire avec des figures comme Avril Lavigne, et qui fait ces jours-ci un retour fracassant.

C’est ce qui a accroché Danick Trottier à sa première écoute de Sour. « J’ai entendu de l’énergie. Une énergie très adolescente, mais dans un sens positif. »

Olivia Rodrigo a une voix affirmée, qui monte en intensité, sur un accompagnement très rythmique. Il y a une coupure très tranchée entre le couplet et le refrain. C’est très punk.

Danick Trottier, professeur de musicologie à l’Université du Québec à Montréal

Cela s’entend particulièrement dans les guitares saturées et les refrains explosifs de Brutal et Good 4 U. (Visée par des accusations de plagiat, Olivia Rodrigo a récemment crédité le groupe rock Paramore sur le second morceau, qui ressemblait à leur succès Misery Business.)

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PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM D’OLIVIA RODRIGO

Olivia Rodrigo

L’adolescente

Olivia Rodrigo joue jusqu’au bout la carte de l’adolescente à l’aube de sa vie adulte. L’univers de ses vidéoclips se limite à sa chambre, sa banlieue et son école de la Californie. Elle chante ses déceptions amoureuses, ses rêves et ses désillusions. Sa colère, aussi. « I’m so sick of seventeen / Where’s my fucking teenage dream ? », scande-t-elle dans Brutal, une critique coup de poing de l’adolescence.

« Elle a un personnage très facilement identifiable pour les jeunes filles et les jeunes garçons », fait observer Béatrice Gaudet, étudiante à la maîtrise en littérature, qui se spécialise en études culturelles.

On l’imagine écrire ses chansons sur le plancher de sa chambre, en lettres bulles dans son journal intime. Les thèmes qu’elle exploite (la romance, les réseaux sociaux, l’apprentissage de la conduite) sont ceux d’une adolescente qui apprend à faire l’adulte. « I’m not cool / I’m not smart / And I can’t even parallel park », chante-t-elle dans Brutal.

Avec Billie Eilish et Lorde, elle propose un nouveau regard sur l’adolescence, avance Béatrice Gaudet. « Les jeunes demandent des pop stars un peu plus vraies, un peu moins rose bonbon et paillettes. Olivia Rodrigo s’inscrit dans un nouveau mouvement qui montre une vision plus réaliste de l’adolescence. »

PHOTO ANGELA WEISS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Olivia Rodrigo a accepté trois prix aux MTV Video Music Awards, en septembre.

La vedette pop

Olivia Rodrigo est belle (sans en être intimidante), jeune et talentueuse. « Elle est très à l’image de la pop star », convient Danick Trottier… mais avec un petit quelque chose de différent.

D’abord, elle n’est pas une Américaine pure laine. Son père est philippin. « Elle incarne les jeunes immigrants de deuxième génération de la côte Ouest. C’est intéressant de le souligner », dit le professeur.

Ensuite, son succès coïncide avec la montée du mouvement #freebritney, qui s’est conclu récemment avec la levée de la tutelle sur l’ex-enfant vedette.

Les jeunes sont beaucoup plus alertes à tout ce qui touche aux pop stars préfabriquées et les grosses maisons de production qui gèrent ces artistes.

Béatrice Gaudet, , étudiante à la maîtrise en littérature, qui se spécialise en études culturelles

À l’opposé des Miley Cyrus, Selena Gomez et Demi Lovato qui l’ont précédée, Olivia Rodrigo participe à un nouveau paradigme de la star de la pop, consciente des ficelles au-dessus de sa tête. Dans Brutal, elle chante : « And I’m so tired that I might / Quit my job, start a new life / And they’d all be so disappointed / ’Cause who am I, if not exploited ? »

La jeune artiste a appris de l’erreur de son idole, Taylor Swift, et s’est assurée d’être propriétaire de ses chansons. Elle prend aussi position politiquement, notamment lorsqu’elle a participé à la campagne pour la vaccination à l’invitation du président des États-Unis, Joe Biden.

« Elle se détache de l’enfant star. Elle a beau avoir 18 ans, elle est beaucoup plus en contrôle de son image », conclut Béatrice Gaudet.

Olivia Rodrigo est finaliste pour sept statuettes aux American Music Awards cette année, dont Artiste de l’année, Nouvel artiste de l’année, Meilleure artiste féminine pop et Meilleur album pop pour Sour. Sa chanson Drivers License est en lice dans les catégories Meilleure chanson pop, Meilleure chanson virale et Meilleur vidéoclip.

La cérémonie, animée par l’artiste R&B Cardi B, sera diffusée en direct dimanche à 20 h sur les ondes de CTV.

Consultez le site d’Olivia Rodrigo Consultez la liste des nominations des American Music Awards 2021 (en anglais)