Il y a quelques semaines à peine, deux chansons de Jay Scott figuraient dans le top 3 du décompte franco de CKOI, une situation rarissime : Copilote, tube estival propulsé par le rappeur FouKi, et Broken, pièce de rupture « écrite en 8 minutes » truffée de références populaires.

Pas mal pour un autodidacte qui a trouvé son pseudonyme grâce à un générateur en ligne de surnoms rap. Pas mal, aussi, pour un jeune Terrebonnien qui, il y a deux ou trois ans, faisait tranquillement une croix sur ses ambitions musicales.

0:00
 
0:00
 

« J’ai une relationniste de presse ! s’étonne aujourd’hui le chanteur-rappeur de 32 ans autour d’une table du Verre Bouteille, avenue du Mont-Royal. Si tu m’avais dit ça il y a un an, je ne l’aurais pas cru. »

Encore tout récemment, Pier-Luc Jean Papineau, alias Jérémie, alias Jay Scott, était intervenant de nuit dans un centre de crise en santé mentale. « Je faisais sept jours de job et j’avais sept jours de congé pour me consacrer à la musique ». La pièce Fou 4U, sur une relation toxique doublée de violence verbale, fait d’ailleurs écho à son expérience d’accompagnement.

0:00
 
0:00
 

Le chanteur, qui est parvenu à vivre de ses revenus Spotify, YouTube et Patreon, a décidé il y a quelques mois de remettre sa démission. Trois jours avant son dernier quart, son téléphone a bipé. « J’ai reçu un message texte. C’était juste marqué : Steve, 7ième Ciel, rappelle-moi. »

Steve pour Steve Jolin ou Anodajay, président fondateur du label hip-hop qui abrite notamment FouKi, Koriass et Alaclair Ensemble. Fait cocasse, en 2017, Jay Scott interpellait celui qui allait devenir son futur patron sur l’innommable pièce Pcm4st3rr4c3, tirée de l’album indépendant God : « I’m on a boat avec Anodajay, me demande de signer, j’veux pas signer, indépendant, I mean un jour j’vas signer, c’est juste que son offre, j’l’ai juste imaginée ».

Cette fois, l’offre n’avait pas été imaginée. « Il m’a fait son speech, mais j’étais déjà vendu. » Jay Scott fait donc son entrée dans l’industrie musicale par la grande porte. L’album Ses plus grands succès, collection de chansons disséminées dans la dernière année et de quatre pièces inédites, paraît ces jours-ci sous le giron de 117 Records, maison sœur de 7ième Ciel qui taquine d’autres genres que le hip-hop.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Jay Scott

Si Jay Scott a une dégaine rap et affectionne les punch lines, son répertoire possède une forte empreinte folk-pop. La plupart de ses créations « DIY » sont d’ailleurs enregistrées d’un trait en formule guitare-voix.

C’était entre autres le cas de Copilote avant que la chanson ne soit retravaillée et projetée dans les palmarès FM. « C’est Le Michel Silencieux [QuietMike], le gars qui fait les beats de FouKi, qui m’a envoyé un message sur Facebook. C’était juste un MP3. Il avait remixé la toune, que j’avais mise sur l’internet. FouKi l’a entendue et m’a dit : “Est-ce que je peux rajouter un petit verse ?” Ça a escaladé. »

0:00
 
0:00
 
0:00
 
0:00
 

En septembre 2021, la pièce « hip-pop » a été certifiée Disque d’or, une distinction qui souligne 40 000 ventes numériques au Canada. Selon la station CKOI, jamais une chanson québécoise francophone n’avait atteint le sommet du 6 à 6 en si peu de temps – 12 heures – après son entrée parmi les titres en rotation.

« Je me pince encore, souligne Jay Scott. Et en même, je m’excuse un peu. Je trouve que la radio essore pas mal. J’imagine la fille qui travaille au Couche-Tard et qui entend Copilote cinq fois par jour. »

De l’impro qui paie

Pour mettre au point ses textes bilingues, Jay Scott s’inspire de son quotidien – « J’ai deux chats et je joue au Xbox : ma vie ressemble pas mal à ça » – et a presque toujours recours au toplining, technique qui consiste à improviser des paroles sur une trame sonore.

Je travaille souvent avec Mike Clay [de Clay and Friends]. On part la toune et pendant 10 minutes, on chante n’importe quoi. Après ça, on prend les meilleurs moments, on se fait un canevas et on brode autour.

Jay Scott

Certains passages, qu’ils soient philosophiques, humoristiques ou mélancoliques, ont valeur d’aphorismes : « L’amour ça se joue à deux, mais on avait juste une manette », « Le temps passe aussi vite sur une Rolex que sur une Casio ».

0:00
 
0:00
 

En 2013, grâce à ce genre de lignes, Pierre-Luc a remporté la deuxième mouture du défunt concours Rap Académie sous le nom de PL3. Il allait plus tard troquer son pseudonyme pour Elmuth Lotus et se lancer dans des reprises acoustiques du répertoire rap québécois.

L’univers de Jérémie – mis en lumière par la pochette de Ses plus grands succès, sortie tout droit des années 1970 – est né en 2017. « Il y a un côté personnage, comme à la lutte. Jay Scott, je trouve que c’est vraiment l’amalgame de ce que j’ai fait avant. »

En 2018 et en 2019, le chanteur s’est peu à peu éloigné de la musique. « Quand ça fait 10 ans que tu essaies, que c’est ton rêve, la vie adulte te rattrape. Il faut que tu paies ton loyer, ton char, il faut manger. J’étais écœuré de faire quatre heures de char pour 200 $. Je n’avais pas abandonné, mais je sentais le rêve de plus en plus inatteignable. »

C’est la chanson Copilote, qu’il a retrouvée dans ses notes, qui l’a convaincu de ressurgir sur l’internet en 2020. Avec le dénouement que l’on connaît aujourd’hui…

Écoutez Ses plus grands succès 
Ses plus grands succès

Folk/pop/rap

Ses plus grands succès

Jay Scott

117 Records