On se demande souvent ce que nos lecteurs poseraient comme questions aux artistes qu’ils aiment. Marc-André Éthier est un lecteur assidu de La Presse et musicien à ses heures. Il suit aussi Louis-Jean Cormier depuis Karkwa. L’idée s’est imposée d’elle-même : l’inviter à mener une entrevue avec le chanteur dans son studio du quartier Rosemont.

Marc-André Éthier : Ton album Quand la nuit tombe a été lancé en pleine pandémie. Le vois-tu comme un album perdu ?

Louis-Jean Cormier : C’est loin d’être un album perdu. Les deux disques de pandémie ont même été plus écoutés que les autres. Si on était 10 ans plus tôt, je pense qu’on aurait battu de mes records à moi avec ces disques-là. C’est difficile de calculer des streams [écoutes], mais c’est assez fou, la réaction. Je comprends que pour les gens qui gagnent à être connus, [c’est difficile]. Il y a de grands écorchés de la pandémie. Je pense à Gab Bouchard, à Laurence-Anne, entre autres, qui étaient sur une lancée…

M.-A. É. : Du temps de Karkwa, tu vivais de la musique et maintenant, je n’ai pas de doute que tu en vis…

L.-J. C. : Il n’y a comme pas de classe moyenne en musique. Soit tu en arraches, soit tu fais des sous comme jamais tu pensais que tu en ferais. C’est des vagues. Tu peux avoir de grosses années pendant longtemps, ou bien une grosse année et trois années de creux de vague. J’ai toujours eu confiance en la vie. J’ai toujours eu bien de la job et du pain sur ma table. Ce qui est beau dans notre métier, c’est ce que nos prédécesseurs ont fait pour [protéger] la propriété intellectuelle et les royautés qui viennent avec ça.

M.-A. É. : C’est surtout ça, les droits d’auteur, qui font que tu vis bien ?

L.-J. C. : Non, c’est-à-dire que c’est peut-être la seule source de stabilité dans ce milieu et, encore là, ce n’est pas très stable. Tu accumules de la propriété intellectuelle et ça, les gens comprennent peut-être mal comment ça fonctionne. Sur mes relevés de royautés, j’ai des tounes de Karkwa, de mon projet solo, des tounes écrites pour d’autres, ici et en Europe… […] Karkwa, ç’a été long avant qu’on se donne un salaire. […] Quand je suis parti en solo, là, j’ai fait le saut. Deux secondes et quart après avoir été disque d’or et avoir remporté des prix à l’ADISQ, j’étais coach à La voix. C’est là que tu te rends compte que, sur 8 millions de personnes au Québec, il y a à peu près 100 000 mélomanes… Tu pensais que tout le monde connaissait Karkwa, mais non. Et quand la machine ouvre et que tu deviens la tête d’affiche de tous les festivals qui existent au Québec, tu comprends la phrase mythique de Daniel Bélanger qui disait : « Nous, les artistes, c’est l’été qu’on passe la gratte ! »

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Marc-André Éthier, lecteur de La Presse et musicien amateur

M.-A. É. : Ton mode de composition, c’est quoi ?

L.-J. C. : La musique est un fil continu, elle arrive toujours en premier. J’accumule les idées, les mélodies, etc. Et vient un temps où je me botte le cul et j’écris. J’essaie de plus en plus de ne pas me poser trop de questions. J’essaie d’être vraiment dans l’instinct et dans le cœur. J’ai peaufiné cette approche-là en travaillant avec [Serge] Fiori. Il disait : « Dès que ton cerveau va se mettre à travailler, ça va être de la marde. […] Donne un break au head office ! »

M.-A. É. : Quand tu étais à La voix, j’ai fait découvrir à ma fille Complot d’enfants de Félix [Leclerc, que réinterprète Louis-Jean Cormier sur son album Les grandes artères]. Est-ce une mission que tu te donnes de faire redécouvrir des classiques ?

L.-J. C. : C’est surtout parce que j’aime vraiment ça, faire des réinterprétations. Je trouve que c’est une façon de voir comment la musique est malléable…

M.-A. É. : Comme tu faisais à Microphone [émission musicale qu’a présentée Louis-Jean Cormier sur les ondes de Télé-Québec]…

L.-J. C. : C’est ça. Ça, ça m’excite beaucoup. Après, on a eu des mélodistes de génie : Gilles Vigneault, entre autres. […] Tu écoutes Brel, Vigneault et Leclerc, ils ont des mélodies qui s’étirent sur plus longtemps avec plus de mouvement. […] Pour moi, c’est formateur et, pour les gens, c’est intéressant. Je pense être devenu un meilleur « chansonneur » en ayant un peu tire-bouchonné les chansons des autres.

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Louis-Jean Cormier en conversation avec Marc-André Éthier

M.-A. É. : La tournée, comment tu vis ça, avec ta conjointe et tes enfants ? Moi, par le passé, j’ai lâché un band qui marchait bien parce qu’en tournée, je m’ennuyais de ma blonde…

L.-J. C. : J’ai besoin de la tournée. Pendant la pandémie, je piaffais. […] Quand on a commencé, il n’y avait pas beaucoup d’amour dans les rouages, parce qu’on était masqués dans le camion, à deux mètres dans la loge en train de manger la bouffe du seul resto qui était ouvert. […] On pourrait dire que la tournée est une souffrance… ou une espèce de colonie de vacances ! Je choisis mes collaborateurs en me demandant toujours : est-ce que j’ai hâte d’être dans un truck avec eux ? Ç’a toujours été extraordinaire. J’ai des souvenirs nostalgiques hyper puissants de la tournée du Treizième étage.

M.-A. É. : Les chansons de loges, c’était dans la première tournée ? Ça paraissait que vous aviez du fun…

L.-J. C. : On était heureux, toujours contents de se voir. Il y a un truc hyper puissant en tournée : la mélomanie collective, les heures passées dans un truck à écouter des choses. Écouter une toune suggérée par un bon chum change ta vision de la musique. Je dirais que c’est la tournée de Vincent Vallières, pour Chacun dans son espace, qui m’a le plus allumé sur ce plan-là. On était avec Michel-Olivier Gasse et Simon Blouin. Ce sont tous des mélomanes. Vincent aime ça, aller chercher loin. J’arrivais de Karkwa et j’avais la prétention qu’on était les seuls débiles à faire ça, mais non, il y en avait d’autres !

M.-A. É. : Ton projet 360, où tu vas avec ça ?

L.-J. C. : L’idée était de faire une plateforme qui serait un peu comme une appli de cinéma ou de télé sur laquelle tu regardes les clips que tu veux. Il y a des shows privés pour les membres. Il y avait aussi l’idée de classes de maître. Et là, l’idée de faire un concours de chanson que je gérerais. Peut-être que le gagnant ou la gagnante viendrait enregistrer ici [au studio Dandurand]…

Consultez la plateforme Le 360

M.-A. É. : La plateforme, c’est ton idée ?

L.-J. C. : Ça part d’une idée de moi en pandémie. Je faisais des vidéos de confinement avec des amis musiciens et on mettait ça sur le net. Ça faisait des 90 000 ou 100 000 visionnements. Je me suis dit : Alex McMahon joue de la musique comme un dieu, gratuitement, et c’est vu par 100 000 personnes. Le plombier qui vient chez moi me demande 400 $. Ça ne marche pas. En plus, je me disais que c’était irresponsable de notre part : on mettait ça sur des plateformes étrangères qui ne paient pas d’impôts… Je me suis dit qu’il fallait se faire une plateforme québécoise.

M.-A. É. : C’est quoi la suite ?

L.-J. C. : La tournée est commencée et, étrangement, on a fait beaucoup de spectacles. On a fait toutes les couleurs de zones… Avant d’écrire Quand la nuit tombe, j’ai pris deux années sabbatiques pendant lesquelles on a fait un plan de match : il allait y avoir un disque en 2020. Peut-être même deux. […] J’étais en sabbatique et j’avais déjà une centaine de dates de bookées. Même sans avoir une seule nouvelle toune. Ces shows-là, on n’a pas pu les faire. Cet automne et le printemps prochain, je fais des shows qui ont été bookés en 2018… Je reviens à ce que je disais au début : ça va être difficile pour la relève parce que c’est saturé.

Les propos ont été édités aux fins de concision.

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