Avec l’album Charlebois à Ducharme lancé en juin et une captation qui sera diffusée à Télé-Québec le 3 septembre, Robert Charlebois rend un hommage vibrant au plus célèbre des écrivains reclus, mort il y a quatre ans, le 22 août 2017. Le chanteur a plongé dans ses souvenirs avec nous.

« Ça n’aurait pas pu être le contraire. Réjean Ducharme aurait pu tomber sur un autre Charlebois. Mais moi, je n’aurais pas pu tomber sur un autre Ducharme. »

Pendant 35 fébriles minutes au téléphone, dans une conversation remplie de souvenirs qui s’entrechoquent, d’anecdotes qui se succèdent et de rires francs où transparaît souvent l’émotion, Charlebois raconte « son » Ducharme, l’écrivain fantôme et mythique qui était aussi son ami.

Le chanteur a fait sa connaissance peu avant la publication de L’avalée des avalés en 1966, grâce à Pauline Julien. « Je connais un auteur, il s’appelle Réjean. Lui, il sait vraiment écrire, vous pourriez faire des choses ensemble », lui aurait-elle dit. Le contact s’est fait « lentement, lentement, puis de plus en plus intensément ». Au fil des années, les deux hommes ont écrit ensemble autour de 25 chansons, endisquées essentiellement entre 1970 et 1980.

Charlebois est ainsi devenu l’une des rares personnes au Québec à avoir véritablement connu l’écrivain, scénariste et dramaturge, qui a refusé toute sa vie les entrevues et les contacts avec le milieu artistico-médiatique.

Réjean a toujours prétendu que l’œuvre devait se défendre en elle-même.

Robert Charlebois

Non seulement Robert Charlebois et Réjean Ducharme ont travaillé ensemble, mais ils se sont aussi beaucoup fréquentés.

« Le hasard a voulu qu’on soit presque voisins. Il venait chez moi des fois, on faisait des dîners avec sa femme, Claire, il était ami avec mes enfants. Mais si j’avais un visiteur, il passait tout droit. »

Une des raisons de cette indéfectible amitié, c’est que Charlebois a toujours strictement respecté son anonymat. Il raconte d’ailleurs que Gérald Godin, qui faisait partie des proches de l’écrivain, a tenté un jour de « forcer » l’entrée de sa maison pour « le sauver d’une bulle d’angoisse et de noirceur ». Ducharme n’a plus jamais voulu le revoir de sa vie. « Ç’a été fini fini. »

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Réjean Ducharme

Charlebois, qui pouvait aussi bien passer une semaine à écrire dans un motel avec Ducharme que jouer au tennis ou aller aux puces avec lui, a repoussé un nombre incalculable de demandes de journalistes ou d’écrivains qui voulaient entrer en contact avec lui.

« Les gens ne réalisaient pas. Réjean était intransigeant et coupant comme une lame de rasoir. Quand il disait non, il n’y aura jamais d’interview… eh bien, il n’y en a jamais eu ! »

Un génie

Pour Robert Charlebois, Réjean Ducharme n’était pas seulement un grand talent, mais un « génie », une rareté qu’on trouve « une fois sur un million » dans un pays. « Et c’est tombé sur moi », dit-il, encore un peu étonné.

Même un mauvais musicien aurait pu faire un chef-d’œuvre avec ça. En même temps, si ça a duré aussi longtemps, ça veut dire que c’était fort aussi.

Robert Charlebois

Sa chance, ajoute-t-il aussi en riant, c’est que Réjean Ducharme ne rencontrait jamais personne d’autre. « À partir du moment où il m’a adopté, je savais qu’il n’irait pas écrire pour François Cousineau et Diane Dufresne ! » Il redevient sérieux. « On rigole, mais c’est triste. »

« Synchronicité », alignement des astres et des talents, ces deux-là se sont en tout cas trouvés et leur collaboration a été d’une richesse inouïe, du Violent seul (chus tanné), première brillante chanson que l’auteur lui avait envoyée par la poste, à Je l’savais, avec son héros paumé très ducharmien, en passant par les énumérations imagées de Fais-toi z’en pas (tout le monde fait ça) ou d’Heureux en amour.

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« Il y avait toujours beaucoup de musicalité dans ses mots, et pour ça, il n’y a pas d’école. Ça tombait du ciel. C’est ça, du génie. Et moi, il ne me restait qu’à mettre une ambiance musicale dessus. Par exemple, une chanson comme Mon pays – “Ça arrive à manufacture les deux yeux fermés ben dur”, c’est un blues, c’est évident. »

Émotion

Pour l’album Charlebois à Ducharme, c’est un travail de dépouillement qui a été fait par l’arrangeur et guitariste Daniel Lacoste. Le résultat est saisissant et touchant, et donne toute la place aux textes, mais aussi aux mélodies qui y ont été accolées.

Un gars qui écrit avec son sang, tu ne lui mets pas du plasma synthétique. Quand tu enlèves toute la sauce, à la fin, il ne reste que la viande et l’os, et c’est tellement beau. Et là, le texte devient gros comme une église catholique.

Robert Charlebois

Pour Charlebois, ces chansons sont intemporelles et indémodables, et n’ont pas pris une ride. « Tu écouteras Insomnie dans 100 ans et ce sera encore vrai. »

Cette émotion dans le dépouillement, on la ressent beaucoup en regardant la captation faite à la salle Wilfrid-Pelletier des 13 chansons qui ont été sélectionnées pour l’album, avec les mêmes musiciens et les mêmes arrangements. Entre des extraits de livres et de pièces de Ducharme lus par quatre comédiens et des anecdotes savoureuses – on se demande quand même comment Charlebois a réussi à être aussi succinct ! –, le chanteur termine l’interprétation de quelques chansons avec un sourire doux et mélancolique qui en dit long.

« J’ai toujours le trac, parce qu’il n’aimait tellement pas qu’on parle de lui. » Mais Charlebois tient à honorer la mémoire de son ami mort il y a quatre ans, et au-delà de l’importance de l’œuvre, on sent que les souvenirs intimes qui sont ravivés le touchent au cœur.

« Je ne savais pas qu’il était malade, je ne m’en doutais pas. J’ai eu beaucoup de chagrin à sa mort, un an jour pour jour après celle de Claire. Il n’était pas venu au salon, évidemment. Il avait écrit : “Je veux mourir juste une fois, la tête en haut…” Et il est mort dans l’escalier, dans la civière qui l’amenait à l’ambulance, en pleurant. »

Après

Un jour, Réjean Ducharme a décidé qu’ils avaient fait le tour de jardin, que leur collaboration avait atteint sa limite et que Charlebois devait voler de ses propres ailes.

« J’étais devenu paresseux avec le temps, parce qu’avec lui, ça tombait du ciel ! Il avait toujours des idées, je ne me forçais plus et je laissais son imagination galoper. »

Ducharme n’a pas complètement tenu parole et lui a envoyé quelques textes ensuite, dont un écrit en français et en espagnol, qu’il garde encore bien au chaud. « Je l’ai habitée pendant une vingtaine d’années, cette chanson. Je ne veux pas la manquer. Elle sera bientôt sur un album. »

Bien sûr, Charlebois a chanté de nombreux autres auteurs, mais par son aura et son statut, Ducharme occupe une place « complètement à part » dans sa carrière. Pourtant, le chanteur ne s’attendait pas à un tel succès pour l’album Charlebois à Ducharme, sorti en juin.

Je savais par contre qu’on avait quelque chose de touchant, dépouillé, sincère et vrai. Et on dirait que les gens ont faim pour ça.

Robert Charlebois

Par ailleurs, Robert Charlebois doit reprendre bientôt à Trois-Rivières, à Montréal et à Québec son incroyable spectacle à grand déploiement Robert en CharleboisScope, pour lequel il a reçu le Félix du spectacle de l’année en 2020. Mais s’il a hâte au retour sur scène – « Moi, ma vocation, c’est de chanter devant du monde » –, c’est bien sûr le variant Delta « qui a l’horloge du show live ».

« On ne veut mettre personne en danger. Mais si ça continue, peut-être que bientôt je vais chanter J’t’aime comme un fou avec un déambulateur ! »

Légende

Même après leur séparation professionnelle, Réjean Ducharme et Robert Charlebois ont continué à se voir. Et quand on lui demande l’image qu’il garde de son ami, le chanteur se rappelle cette fois où sa femme Claire l’avait appelé, en panique.

« Il avait perdu son chien Blaise. Elle me disait : “Il est en train de mourir, peux-tu faire quelque chose, appeler la police, te servir de tes contacts ?” J’y avais retrouvé, son chien. Après, il m’avait dit : “Robert, tu peux me demander n’importe quoi.” »

C’est ainsi que les légendes naissent.

L’émission Charlebois à Ducharme sera diffusée sur les ondes de Télé-Québec le 3 septembre et en rappel le 5 septembre, et sera offerte en rattrapage sur le site de Télé-Québec.

Charlebois à Ducharme

Charlebois à Ducharme

Robert Charlebois

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