Le rappeur Samian dévoilera son nouvel album, Nikamo, et sera en spectacle le 6 août à la place des Festivals, dans le cadre du 31festival Présence autochtone. Une collection de chansons hip-hop, rock, afro-beat, reggae, dont la quasi-totalité des textes est en algonquin. Celui qui titrait son premier extrait Génocide avant même la découverte des restes d’enfants à Kamloops assume sa liberté de parole.

M. C. : Avais-tu déjà fait un album avec autant de textes en algonquin ?

Samian : Jamais. Je faisais des couplets ou des refrains. Sur les deux derniers albums, j’avais un peu mis ça de côté. Parce que j’étais conscient de vouloir me faire comprendre. Mais au début de la pandémie, j’ai réalisé une chanson complète en algonquin pour la première fois. Ça fait 14 ans cette année que j’ai lancé mon premier album et en 15 ans, je n’avais jamais fait ça.

M. C. : Tu as aussi décidé de faire paraître l’album sur ta propre étiquette…

Samian : J’ai décidé de fonder mon label parce que je me faisais demander : « Elle est où, ta chanson en français ? » Je n’avais pas envie de passer par là. J’ai eu zéro subvention. Même aux portes où j’ai frappé, on ne m’a absolument rien donné. J’ai tout payé de ma poche. J’ai engagé des gens pour mixer et masteriser. Les beatmakers que j’ai embauchés sont de partout dans le monde : Allemagne, Costa Rica, Nigeria, États-Unis. J’ai tout produit et réalisé de A à Z. Ça fait 18 mois que je suis à fond là-dedans.

M. C. : Cette volonté d’avoir ton propre label, c’est parce que tu étais désabusé de l’industrie, ou surtout pour avoir le contrôle complet sur ce que tu fais ?

Samian : Un mélange des deux. En 2016, j’ai claqué la porte de l’industrie. Je n’étais vraiment plus capable. Je fais de la télé, je fais du cinéma, j’ai publié des recueils de poésie. Quand tu regardes un contrat d’acteur, d’animateur ou d’auteur, tu montres ça à un avocat et c’est clair. Pas un contrat de disque. Ce que l’artiste peut toucher, ce n’est pas clair. On joue avec des virgules. J’étais fatigué de ça.

M. C. : Tu as rencontré un survivant du pensionnat de Kamloops pour le clip d’Ishkodè. C’est triste de constater qu’on réagit parce qu’il y a des preuves tangibles que ces enfants-là sont morts. Ce sont pourtant des histoires qui se racontent depuis longtemps. Les paroles n’émeuvent plus assez ?

Regardez le clip d’Ishkodè

Samian : Ma grand-mère est une survivante des pensionnats et ça fait peut-être une dizaine d’années qu’elle en parle. Il y a maintenant une image collective de ces enfants de 3 à 8 ans. Là, je pense que les gens savent. C’est triste, comme tu dis, que ça ait pris ça pour le constater. Dès mon premier album, je parlais des pensionnats. C’est un génocide, et pas juste culturel. C’est un génocide dans sa définition même. Les gens ne peuvent pas s’imaginer que ça existe ici. L’image qu’on renvoie à l’échelle internationale, avec l’Église catholique et l’État, c’est que c’est un génocide légal. Au lieu de dénoncer les responsables, on les protège.

Il y a 215 victimes à Kamloops, des centaines d’autres ailleurs, et il n’y a personne qui est puni. Il y a encore des procès qui s’ouvrent aujourd’hui pour des gens de 90 ans qui ont participé à l’Holocauste. Pourquoi il n’y a pas eu de procès ici ?

Samian

M. C. : As-tu l’impression qu’on commence à dire davantage que c’est un génocide, sans ajouter le qualificatif « culturel » ? Il me semble qu’avec la prise de conscience de ce qui est arrivé à ces enfants, il y a plus de gens qui reconnaissent que c’est un génocide.

Samian : C’est ce que j’entends depuis un an. On est de plus en plus capable de nommer ces choses-là. Au Québec, c’est encore vraiment difficile. Le titre Génocide m’est venu après l’évènement de Joyce [Echaquan] et le fait que le gouvernement refusait encore de reconnaître le racisme systémique. Ce n'est rien de reconnaître ça ! C’est une évidence. Le Québec n’est pas indépendant, à ce que je sache. La Loi sur les Indiens s’applique ici aussi et elle crée du racisme systémique. J’ai décidé de faire une chanson où on nomme les choses telles qu’elles sont.

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M. C. : Sur ce titre-là en particulier, tu es frontal. Tu dis : « La Constitution canadienne est un génocide »…

Samian : J’ai toujours voulu être politiquement correct. Je n’ai jamais voulu être agressif ou violent. Ma musique n’est pas violente ou agressive. Elle est brute. Mais à un moment donné, il faut nommer les choses parce que les évènements et les circonstances sont plus forts que le reste. Il y a eu Ian Lafrenière [ministre responsable des Affaires autochtones] qui était auparavant à la police à Montréal et qui a dit : « Non, il n’y a pas de racisme systémique. » C’est le discours de la ligne de parti qui embarque. Nommer les choses, ça fait du bien. Je n’ai pas le sentiment d’être compris, mais j’ai le sentiment d’aller de l’avant.

M. C. : Comme c’est le seul texte en français de l’album, et qu’il est en phase avec l’actualité, est-ce qu’on t’en parle davantage ?

Samian : Est-ce qu’on m’a déjà parlé de musique en entrevue ? Jamais, en 15 ans. C’est ça depuis mon premier album. Il y a toujours un concours de circonstances qui fait qu’on s’intéresse à un autochtone qui prend la parole. Il y en a de plus en plus et c’est magnifique. Mais je regarde la jeune génération d’artistes autochtones faire de la musique pop joyeuse, pour partager du bonheur, alors que moi, je suis pris avec le fait d’être engagé et de vouloir dénoncer beaucoup de choses. On se retourne rapidement vers ces propos-là, puis c’est correct. J’assume cette responsabilité.

M. C. : C’est lourd à porter ?

Samian : Ce n’est pas lourd parce que c’est pleinement assumé. J’ai une liberté de parole. Je n’en abuse pas. Je ne veux pas dépasser les bornes. Je ne fais pas ça pour choquer. Cette chanson-là [Génocide], c’est l’histoire du Québec aussi. Les Québécois peuvent très bien se l’approprier et comprendre d’où elle vient. Ce qu’on entend aujourd’hui sur l’histoire des Premières Nations, sur la honte nationale des pensionnats autochtones, ça fait partie de notre histoire. C’est un devoir aussi en tant que Québécois de faire honneur à la devise « Je me souviens ». Nous, on est les racines de ce pays et on demande aux gens parfois de revenir à ces racines, pour mieux se comprendre, tout simplement. Pour qu’il y ait un dialogue. C’est ce que j’essaie de faire. Créer un dialogue pour que les gens comprennent ma réalité comme je comprends la vôtre. Je suis métis. J’ai grandi dans une réserve, à Pikogan, et j’ai grandi en ville. J’ai compris, à 7 ans, pendant la crise d’Oka, que j’étais un « Sauvage ». C’est à la télévision que j’ai appris que j’étais un Indien. Quand j’avais 9 ou 10 ans, à Sherbrooke, où on avait déménagé, des parents interdisaient à leurs enfants de jouer avec moi. Je comprends la réalité québécoise, mais j’ai envie de dire aux Québécois : comprenez aussi notre réalité et notre point de vue. On a une histoire commune. On a beaucoup plus de liens communs que de différences. C’est ça, la nation québécoise. J’ai une chanson où je dis : « Appelle-moi Samian de Champlain ». J’ai l’impression que j’incarne un peu le rêve de Champlain en étant ce pont entre deux nations.

M. C : Tu en parlais plus tôt, est-ce que le fait que l’album soit en algonquin est un frein à sa diffusion plus large au Québec, à la radio par exemple ?

Samian : Je suis conscient que mon combat avec cet album-là, ce sera de me faire dire : « On ne comprend pas ce que tu dis. » Le dialogue, c’est de vouloir aller vers l’autre. Nous, on s’exprime dans les langues coloniales. Faire cet album-là pour moi, c’est revenir au point de départ. C’est à notre tour de raconter nos histoires. Tracey Deer vient de le faire avec son film Beans. L’histoire a toujours été racontée d’un point de vue colonial. On a besoin d’entendre notre version. Et de chanter dans nos langues, c’est une des plus belles façons de le faire. Ma grand-mère, qui vit chez moi en ce moment, m’en parle souvent. Quand elle était enfant, elle ne comprenait rien de ceux qui lui parlaient en français et en anglais. C’était pour elle des langues étrangères. C’est elle qui m’a appris l’algonquin, que j’ai réappris avec une prof pour faire l’album. Quand un Québécois va l’écouter, est-ce qu’il va se dire que c’est une langue de son pays ? Une langue d’ici ? C’est une langue parlée ici depuis des millénaires. On peut, peut-être, faire l’effort d’apprendre à dire bonjour et merci.