Créer un lien entre les aînés et les jeunes au travers du rap : telle est la mission de Mamie Remix, un projet porté par le collectif d’artistes Berceurs du temps. Il a été lancé à la suite de l’appel à projets Retrouvailles créatives de l’Orchestre Métropolitain (OM), soutenu par le Conseil des arts de Montréal.

Pendant cinq semaines, en avril et mai 2021, 13 jeunes de 4e et 5secondaire ont produit trois raps à partir de chansons et de poèmes sélectionnés par des résidents d’un CHSLD et de deux pavillons de l’Institut de gériatrie de Montréal. Dans la sélection figuraient les chansons Je reviens chez nous, de Jean-Pierre Ferland, et Les feuilles mortes, interprétée par Yves Montand.

« Les écoles secondaires ont été jumelées avec les CHSLD par proximité parce que pour nous, c’est important qu’ils comprennent qu’ils sont proches d’eux physiquement », explique Sophie Levasseur, médiatrice culturelle et chargée de projet pour les Berceurs du temps. « On a reçu environ cinq textes par résidence. Pendant notre première rencontre [virtuelle] avec les jeunes, chaque équipe a choisi un texte. »

Les jeunes du collège Notre-Dame, de l’école FACE et de l’école Joseph-François-Perrault se sont rencontrés en équipes de quatre ou cinq, pour des séances de travail virtuelles. Encadrés par Sophie Levasseur et leurs mentors (deux rappeurs et une rappeuse de Montréal), les artistes en herbe ont travaillé à leurs textes respectifs pour arriver à un résultat unique.

PHOTO CHARLIE POIRIER-BOUTHILLETTE, FOURNIE PAR BERCEURS DU TEMPS

L’équipe de l’école FACE (Zéphyr Bielinski, Marius Fortier, Marine Marécal, Alexandre Mikaelian et Maxime Puisegur) avec leur mentor Franky Fade (à gauche), rappeur et membre du groupe Original Gros Bonnet

Des lettres-vidéo qui détaillaient leurs sélections de textes et leurs travaux ont été partagées avec les aînés deux fois pendant le processus, jusqu’au jour de l’enregistrement des chansons au studio Planet Studios, le 24 mai dernier. Des musiciens de l’OM ont aussi participé à l’enregistrement ce jour-là.

PHOTO JULIEN CHARRON-FORGET, FOURNIE PAR BERCEURS DU TEMPS

Zéphyr Bielinski, de l’équipe de l’école FACE, au studio d’enregistrement Planet Studios, le 24 mai 2021

« Pendant cette journée-là, on avait notre laptop et les résidents étaient chez eux, raconte Sophie Levasseur. On leur a fait visiter le studio où les jeunes enregistraient, donc ils ont pu rencontrer les jeunes, qui ont pu leur rappeler quels textes avaient été choisis et comment ils les avaient travaillés. »

Un documentaire a été filmé pour résumer l’expérience des jeunes artistes. Les Berceurs du temps ont montré le documentaire, ainsi que les chansons et les clips vidéo de chaque équipe, aux « mamies » qui ont participé au projet.

Regardez les vidéos sur la page YouTube de Berceurs du temps

Un pari gagné

L’idée de joindre le rap à des textes plus traditionnels est venue d’un désir d’aider les jeunes à franchir l’écart générationnel.

« On pensait que si les jeunes travaillaient un texte plus classique et le transformaient en quelque chose de plus proche de ce qui les appelle, peut-être qu’il y aurait un peu moins de réticence », raconte Sophie Levasseur.

C’était un pari, on avait envie de voir si ça pouvait permettre aux deux générations de se retrouver et de faire chacune un compromis de son côté.

Sophie Levasseur, médiatrice culturelle et chargée de projet pour les Berceurs du temps

Elle pense que partir d’un texte ou d’une chanson a été une contrainte inspirante pour les jeunes. « Ça leur a permis de s’ouvrir un peu plus à cette génération, à cette poésie et aux chansons plus traditionnelles qu’ils ne connaissaient pas. »

PHOTO CHARLIE POIRIER-BOUTHILLETTE, FOURNIE PAR BERCEURS DU TEMPS

L’équipe du collège Notre-Dame (Gabriel Chartrand, Theresa Pauline Diwa, Tomas Bélisle et Jean-Sébastien Bérard) avec leur mentore Meryem Saci (au centre), chanteuse et membre du groupe Nomadic Massive

Pour Tomas Bélisle, élève au collège Notre-Dame, la chanson imposée était bénéfique pour le processus créatif. « Avoir quelque chose de plus précis sur lequel se concentrer, ça ouvre beaucoup plus de portes. Ce n’est pas juste un mur de gris, tu sais par où commencer. »

Des liens tissés, malgré la pandémie

« À l’origine du projet, [le lien intergénérationnel] était vraiment au cœur de notre démarche. Cette année, à cause de la pandémie et à cause du fait que tout s’est passé en ligne, c’était beaucoup plus compliqué d’avoir un vrai lien avec les aînés derrière les textes », raconte Ilya Krouglikov, codirecteur des Berceurs du temps.

Malgré les limites imposées par la pandémie, les participants ont vécu une expérience enrichissante. Les jeunes ont en effet eu l’occasion de travailler avec des musiciens professionnels, de former des liens d’amitié avec des élèves de profils différents, et de participer à la production d’une chanson de rap, de la conception à l’enregistrement.

« Le projet m’a vraiment permis de comprendre l’éthique de travail, ce qu’il faut faire en arrière pour faire un projet de A à Z, et développer un sens de persévérance », continue Tomas Bélisle.

Le projet a aussi aidé Sébastien Vilus, de l’école Joseph-François-Perrault. « Mamie Remix m’a permis de sortir de ma zone de confort, et surtout de rapper avec d’autres gens et de montrer [ma musique] à des gens que je ne connaissais pas. »

PHOTO CHARLIE POIRIER-BOUTHILLETTE, FOURNIE PAR BERCEURS DU TEMPS

L’équipe de l’école Joseph-François-Perrault (Kenny Clervéus, Henri Langevin, Yann Stüssi et Sébastien Vilus) avec leur mentor Mantisse (au centre), rappeur et membre du groupe LaF

« Les jeunes étaient tellement isolés [pendant la pandémie], ils ont manqué une partie de cette période de transition importante. C’était touchant de les voir partager autant, de les voir s’ouvrir, rencontrer de nouvelles personnes, se projeter dans l’avenir », dit Sophie Levasseur.

Pendant quelques heures par semaine, ces jeunes ont en effet pu s’échapper de la pandémie et se concentrer sur la création musicale. « Ce projet était merveilleux parce que ça m’a sorti la tête de la COVID », confirme Zéphyr Bielinski, de l’école FACE.

Quant à Henri Langevin, de l’école Joseph-François-Perreault, il prévoit produire encore plus de musique avec ses coéquipiers. « Je pense qu’on va continuer à faire des projets ensemble, même si on n’est plus à la même école. »

Rectificatif
Dans le texte intitulé « Le rap pour combler l’écart générationnel », paru dans notre édition du lundi 5 juillet, nous avons écrit que deux instituts de gériatrie étaient impliqués dans le projet Mamie Remix. C’est en réalité deux pavillons de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Nous avons aussi attribué la photo de Zéphyr Bielinski à Charlie Poirier-Bouthillette, mais il s’agit plutôt d’une photo de Julien Charron-Forget. Finalement, Henri Langevin fait partie du groupe de l’école Joseph-François-Perrault et non pas du groupe du collège Notre-Dame, comme nous l’avons indiqué. Nos excuses.